Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle - 97

les acteurs

83

concluent avec des personnes de leur condition56. C'est ainsi que le 25 novembre
1764 le comte de Varroc, le baron d'Escalpon et le baron d'Espuller constituent
une société pour l'établissement d'une manufacture « dont l'objet est la composition d'une pierre factice différente de celle surnommée stuck57. » Un autre exemple
est révélateur. En 1767, la présence de la noblesse dans une société en commandite
qui succède à une société en nom collectif n'est pas fortuit.  Elle s'accompagne
d'un changement de personnes et de perspectives58. Si les commerçants ayant
réussi ont l'espoir d'être anoblis59, à l'inverse les nobles n'ont aucunement le désir
d'appartenir à un état qui leur paraît inférieur à celui qu'ils occupent. Il y a toutefois un lieu où ces derniers peuvent exercer leur attrait pour le commerce par
intermittence sans s'exposer à perdre leur statut : « En Bretagne le trafic même en
détail ne déroge point la noblesse : lorsque des nobles de cette province veulent
entreprendre le négoce, ils laissent dormir la noblesse, c'est-à-dire, qu'ils ne la
perdent point, mais seulement qu'ils cessent de jouir des privilèges des nobles tant
que leur commerce dure ; & qu'ils reprennent la noblesse en quittant le trafic, sans
qu'ils soient tenus de prendre aucunes lettres de réhabilitation60. ». Au-delà de ce
cas particulier, les nobles ne manquent pas de s'engager dans des projets d'envergure à leurs risques et périls : « [...] un jour qu'il fouillait le sol pour y trouver de
la marne, sa mauvaise étoile lui fit découvrir une veine de terre, parfaitement
blanche, qui suivant l'expérience qui fut faite, ne donna pas d'effervescence sous
l'action des acides. Il fut frappé par l'idée de s'en servir pour faire de la porcelaine : il montra ce kaolin à un manufacturier qui le proclama excellent. L'imagination du marquis prit feu et il résolut de changer en ville le pauvre village de
Turbilly, en y établissant une fabrique de porcelaine [...] mais fut trompé par ses
agents, par ses ouvriers, et finalement ruiné61. ». Le cas est rare mais il peut arriver
aussi qu'un noble s'associe avec un roturier dans une société en nom collectif.
Ainsi, Delamotte, Écuyer, Conseiller, Secrétaire du Roi se met en société avec
56. « Le duc d'Orléans finance avec les Luynes la manufacture des draps d'Amiens de Martin et
Flessels. Le duc de Croÿ développe l'exploitation des mines de charbon d'Anzin, la plus ancienne des
grandes mines du Nord, qui devient l'une des premières sociétés industrielles d'Europe. Le maréchal
de Castries et le prince de Conti financent dans le Gard les houillères de la Grande Combe. » E. de
Valicourt, op cit, ch VIII, p. 168.
57. Acte de société du 25  novembre 1764. La société n'a pas duré longtemps. Dans le même
dossier, figure en effet un acte de désistement de cette même société en date du 1er mars 1765, (AP
D3B6 66). H.  Lévy-Bruhl, art cit,  : « La noblesse de France et le commerce à la fin de l'Ancien
Régime », p.  219  : «  [...] nombreux sont les gentihommes qui s'intéressèrent de la manière la plus
directe à ce mode d'activité économique qu'on appelait alors les manufactures [...]. Quant au
commerce proprement dit, même au commerce de gros, il ne semble pas que les nobles l'aient beaucoup
recherché [...] l'état de commerçant leur paraissait incompatible avec leur dignité. »
58. G. Richard, op cit, mentionne p 231, la « Manufacture Royale de Quincallerie » qui avait été
établie d'abord à Vierzon en 1756 sous forme de société en nom collectif par Billard et Dumousseaux
et qui devait devenir à la suite de difficultés en 1767 une commandite avec de nouveaux associés dont
Bouret de Nogent et la comtesse de Vargemont apportant pour le premier 60 000 livres sur un capital
de 900 000 livres divisé en 30 sols de 30 000 livres.
59. Mémoire du Sieur Perrier, négociant à Grenoble, du 29 avril 1778. « Il demande qu'on lui
accorde des lettres de noblesse, en récompense des établissements qu'il a fondés en Dauphiné. Il
expose que depuis plus de cinquante ans, il y fait le commerce de toiles, qui y était presqu'inconnu
avant lui [...] Il observe qu'il est né d'une famille très ancienne dans le commerce ; et que la grâce qu'il
sollicite a été accordée à différentes personnes qui ne le méritaient pas plus que lui [...]  »  Dans le
dossier figure la mention d'un « avis favorable pour lui attribuer la faveur demandée. » Lettre du 1er
juillet 1778. (AN F12 641).
60. J.  Savary des Bruslons, op cit, t 3, v° " profession mercantille " , p. 1007.
61. A. Young, op cit, p. 253. À propos du marquis de Turbilly.

978-2-275-08824-2__DOCFILE__4e_couverture.indd 83

16/12/2020 11:58:25
Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle

Table des matières de la publication Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle
