Bibliothèque de droit privé - Tome 606 - Le fait de la création en droit d'auteur français - 138

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LE FAIT DE LA CRéATION EN DROIT D'AUTEUR FRANÇAIS

174. Réappropriation des thèses antiques par la Haute-Renaissance italienne - À partir de la Renaissance, la part intellectuelle des activités créatrices
fait l'objet d'un regain d'intérêt104. Quoiqu'elle ne perde pas son utilité105, la
dichotomie intelligible-sensible ne paraît plus pouvoir fonder une poïétique
viable. Les artistes de la Renaissance italienne (malgré des débats106) s'appuient
sur le réalisme aristotélicien et le néoplatonisme plotinien (appuyés sur la
notion de « forme intérieure »107), pour faire admettre le caractère principal de
la part intellectuelle de l'activité poïétique. C'est ici qu'apparaît, en droit d'auteur, un quiproquo qui prend les traits d'un désaccord doctrinal alors qu'il n'est
question que de vocabulaire. Pour certains auteurs, en effet, les « idées », assimilées à l'ensemble des éléments intelligibles seraient l'essence de l'« œuvre ».
Ces auteurs parlent parfois d'« idée du créateur »108 mais ils rejoignent ce faisant ce que les grecs entendaient par « forme intelligible »109. Par la formule
« idée du créateur », ils rejettent l'acception superficielle de la « forme » qui la
réduit au sensible là où il faut effectivement y entendre une « forme intelligible ». Ils désignent par « idée » cette « forme intérieure » à l'esprit de
l'« auteur » une fois déposée par la « réalisation » dans une « forme sensible »
qui n'en est que le vecteur. Ce ne semble être qu'une question de vocabulaire
qui peut se résoudre sans trop de difficultés. Il suffit de renouer avec la lettre de
la loi en retenant le terme de « forme d'expression », réhabilitant ainsi une distinction assainie entre « idée » et « forme ». Un tel préalable est indispensable à
la bonne pratique du principe des « idées [...] de libre parcours ».
« perceptibles » et des similitudes « intelligibles ». Les premières sont celles qui peuvent être directement
observées, tandis que les secondes - comme l'ambiance, la dynamique, les motifs et la structure - influent
indirectement sur l'expérience vécue par le spectateur de l'œuvre. Le témoignage d'expert était nécessaire pour
aider le juge de première instance à distiller et à comparer les aspects « intelligibles » des œuvres en question,
qu'il n'aurait pas été en mesure d'apprécier sans ce témoignage. Par conséquent, le juge de première instance
n'a pas commis d'erreur en admettant le témoignage d'expert du Dr Perraton » Cinar Corporation c/ Robinson,
2013 CSC 73 (décision du 23 décembre 2013).
104. Confer « [...] la main n'est rien sans l'esprit, sauf à adopter en droit une conception de l'art
plastique qui est contredite par toute l'histoire de l'art, l'œuvre étant cosa mentale depuis la Renaissance.
Les peintres ont gagné leurs galons d'artiste en revendiquant faire avec leurs images de la poésie, comme
la poésie fait de la peinture, et ont pu ainsi accéder à la catégorie des arts libéraux, arts de la pensée »
A. Tricoire, « Définir l'œuvre, le défi du droit d'auteur », op. cit., p. 2013.
105. Puisque l'« œuvre » a besoin du sensible pour la communication de l'intelligible.
106. Confer par exemple le renversement vasarien sur la signification d'idea : « On peut
d'ailleurs prendre, en partant du langage courant, une conscience plus claire de ce changement de sens.
Dès lors, l'idée ne « réside » ou ne « préexiste » plus dans l'âme de l'artiste, comme il était dit chez
Cicéron et Thomas d'Aquin ; elle ne lui est pas davantage « innée », selon l'expression typique du
Néoplatonisme ; tout au contraire, elle « vient à l'esprit », elle « naît », elle est le « produit » de la
réalité, elle en est « l'acquis » et se trouve vraiment « modelée et sculptée » » E. Panofsky, Idea,
op. cit., p. 81.
107. « [...] il importe de retenir que ce que les doctrines de l'art appellent, au xvie siècle, idea
n'est souvent que l'universel d'Aristote ou même tout simplement l'image intérieure » R. Klein,
L'esthétique de la technè : L'art selon Aristote et les théories des arts visuels au xvie siècle, op. cit.,
p. 207 ;
confer « Au milieu du xvie siècle, l'habitude se prend et se répand d'entendre par « Idea » la
faculté de la représentation beaucoup plus que le contenu de la représentation artistique [...] »
E. Panofsky, Idea, op. cit., p. 81.
108. Maître Tricoire parle d'« idée de l'œuvre » : A. Tricoire, « Définir l'œuvre, le défi du droit
d'auteur », op. cit., p. 2011 et s.
109. « [L'] œuvre encapsule l'idée de son créateur dans le cadre déterminé de sa réalisation. L'œuvre
de l'esprit est aussi l'idée de sa création » V.-L. Benabou, « Pourquoi une œuvre de l'esprit est
immatérielle », op. cit., p. 55.

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