Bibliothèque de droit privé - Tome 606 - Le fait de la création en droit d'auteur français - 162

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LE FAIT DE LA CRéATION EN DROIT D'AUTEUR FRANÇAIS

§ 1. L'ÉMERGENCE DU PRINCIPE DE L'UNITÉ DE L'ART
206. Origine de la théorie - Si Pouillet a été, en droit français, le plus
influent défenseur de la théorie de l'« unité de l'art »4, il n'en demeure pas moins
que celle-ci fut d'abord élaborée outre-Manche au sein d'un mouvement artistique et politique : l'Arts & crafts (littéralement : « arts et artisanats », précurseur
britannique du mouvement Art nouveau), et notamment par son chef de file, le
penseur anglais William Morris (A). Reçue par le droit français, elle fait
aujourd'hui figure de principe inévitable du droit d'auteur français (B).
A. L'UNITé DE L'ART COMME DOCTRINE POLITIQUE
207. Naissance de la théorie de l'« unité de l'art » dans le sillage de l'Arts
& crafts - En pleine révolution industrielle, un mouvement artistique anglais, inspiré par la doctrine socialiste, rapproche les théories de la division du travail (alors
en plein développement) du constat de la division des arts (1) et propose la réunification de ces derniers (2).
1. La division des arts
208. Morris et la question des arts mineurs - Le 4 décembre 1877, Morris
donne une conférence intitulée The Lesser Arts (les arts mineurs5). Il introduit
son sujet par les mots suivants : « [...] je ne toucherai pas beaucoup au grand art
de l'architecture, et encore moins à ces arts majeurs que l'on nomme généralement
la peinture et la sculpture. Néanmoins, je ne peux en toute conscience les séparer
tout à fait de ces arts mineurs, dits décoratifs, dont je vais parler. Ce n'est que
depuis peu, et du fait de circonstances extrêmement complexes, qu'ils se sont dissociés les uns des autres, et j'ai la conviction que cette séparation ne peut que leur
causer du tort. Les arts mineurs deviennent futiles, mécaniques, bêtes, incapables
de résister aux changements que leur imposent la mode ou la malhonnêteté ; les
arts majeurs, même quand s'y livrent des hommes qui possèdent un intellect supérieur et des dons extraordinaires, perdent, s'ils ne s'entraident pas l'un l'autre, s'ils
ne reçoivent l'appui des arts mineurs, le titre d'arts populaires et ne deviennent que
la triste emphase d'un faste insignifiant ou les jouets ingénieux des riches et des
oisifs »6. Morris est critique face à l'émergence d'un marché de l'art et d'une
instrumentalisation bourgeoise de la création qu'il impute à la division alors
récente des arts du beau et des arts mineurs. En réaction, il propose l'unité de
tous les arts : « Nous nous intéresserons aujourd'hui à tous les arts, ceux grâce
auxquels les hommes, de tout temps, se sont efforcés d'embellir les objets familiers
de la vie quotidienne. C'est un sujet immense, qui touche à une activité essentielle,
à la fois une part intrinsèque de l'histoire du monde et un instrument utile pour
étudier cette histoire »7.
4. « En réplique, certains auteurs vont au contraire défendre l'idée de l'unité de l'art, théorie
attribuée à Pouillet mais déjà en germe dans un certain nombre de projets de lois dont l'un était déjà
défendu par Lamartine en 1841 » M. Cornu, « Dans les entre-deux de l'utile et du beau : quand
l'ornement questionne le droit », Paris, France, Les Arts Décoratifs - Institut national d'histoire de
l'art, 2013, p. 3.
5. « [...] que l'on appelle aussi arts décoratifs » W. Morris, Comment nous vivons et comment
nous pourrions vivre, Paris, France, Rivages, 2013, p. 101.
6. Ibid., p. 102-103.
7. Ibid., p. 103 (souligné par nous).

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