Bibliothèque de droit privé - Tome 606 - Le fait de la création en droit d'auteur français - 216

2960351E-01_le-fait-creation-droit-auteur_corpus Page 216

200

LE FAIT DE LA CRéATION EN DROIT D'AUTEUR FRANÇAIS

et de son industrie, ouvre au constructeur des perspectives nouvelles. Ceux qui
hésitent ou refusent sont des arriérés. C'est parfois vrai, mais pas toujours ni nécessairement. Prédire dans quels cas ce n'est pas vrai est une manière sûre de s'apprêter
au ridicule, mais il n'est pas certain que toute technique nouvelle soit assurée de
trouver une beauté qui lui soit propre »75. Le développement technique exerce un
fort pouvoir d'attraction sur l'esprit des artistes, les « provoque » à user du nouveau moyen. Mais sans finalité, le contenu intelligible du produit est contingent et
donc par définition, exclu de la qualification de « forme d'expression ». En outre,
l'apparition d'un nouveau moyen technique, plus efficace, ne protège pas forcement mieux l'artiste du risque de manquer son ouvrage.
B. LA LIMITE :
LA DISTORSION ENTRE LES MOYENS ET LES FINS
281. Obstacles au succès de la « réalisation » de la « conception » sous la perspective du rapport entre moyens et fins - Le « fait de la création » poursuit une
certaine finalité (voir supra n° 61). Il faut que cette fin soit atteinte pour que le
« fait » donne valablement son existence juridique à l'« œuvre de l'esprit ». Or, un
nombre important des facteurs susceptibles de faire échec à la bonne « réalisation » de cette fin sont liés au moyen technique, plus précisément à la bonne
« adaptation de moyens à des fins »76. Cet état de choses pose deux difficultés principales : les moyens employés pour réaliser l'« œuvre » se doivent d'être adaptés à
la fin souhaitée (1) de même qu'ils doivent être maîtrisés par l'agent (2).
1. La conformité du moyen
282. Origines antiques de la réflexion sur les rapports entre moyens et fins -
Déjà au ve siècle avant notre ère, « Platon rappelait que le moyen n'est rien sans son
ordination à la fin. Aristote insist[ait] plutôt sur la dépendance inverse : la fin n'est
rien si elle ne se réalise par des moyens appropriés. Alors que, pour Platon, la déduction du mode [...] de réalisation à partir de la fin à réaliser [...] ne semblait soulever aucune difficulté, du moins pour qui agit selon l'intellect [...] et non à l'aventure
[...], Aristote pose pour la première fois le problème de la dissonance possible entre
la fin et les moyens et souligne, du même coup, que la qualité d'une action se mesure
non seulement à la rectitude de l'intention (comme le croyait Platon), mais aussi à
la convenance des moyens »77. Il s'agit là de l'explication de l'« œuvre manquée »
(qui n'est pas une « œuvre » au sens juridique), celle où la fin poursuivie n'est pas
atteinte. L'enseignement est riche dans la perspective judiciaire : le juge (appuyé
sur les éléments de preuve fournis par les parties au contentieux) doit constater le
succès de la fin en même temps que sa nature (l'« expression » de la « conception
de l'auteur » (voir supra n° 34 et s.)). La doctrine aristotélicienne corrige ici une
lacune du platonisme que le professeur Aubenque décrit ainsi : « [...] l'originalité d'Aristote se situe plutôt dans l'intuition si étrangère à Platon, d'une dissonance
possible entre la fin et les moyens et dans l'exigence corrélative d'une délibération
suivie d'un choix, qui est tout autre chose qu'un raisonnement suivi d'une conclusion.
[...] La distance est [...] infinie entre l'efficacité réelle du moyen et la réalisation
attendue de la fin. [...] Mais cet infini, [...] qui affecte une matière toujours plus ou
75. é. Gilson, Matières et formes, op. cit., p. 65.
76. A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, op. cit., p. 355, « finalité, A ».
77. P. Aubenque, La prudence chez Aristote, op. cit., p. 135.

Black

978-2-275-08825-9__DOCFILE__corpus.indd 200

16/12/2020 09:38:42

Bibliothèque de droit privé - Tome 606 - Le fait de la création en droit d'auteur français

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 606 - Le fait de la création en droit d'auteur français