Bibliothèque de droit privé - Tome 606 - Le fait de la création en droit d'auteur français - 266

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LE FAIT DE LA CRéATION EN DROIT D'AUTEUR FRANÇAIS

« forme » comme résultat d'un geste, comme traduction d'une rencontre géométrique
entre une « activité »18 et une matière met l'accent sur la manière de l'« auteur », son
style, son tour de main. Et qui peut prétendre que Véronèse, Van Gogh, Monet ou
Dali n'ont pas une « touche » qui (en un sens) les caractérise, une façon d'appliquer le
pigment qui (d'une certaine manière) leur est propre ? Pourquoi alors ne pas s'appuyer sur ce caractère pour déterminer la titularité du droit de propriété de
l'« auteur » ? Un tel critère aurait le mérite non négligeable de s'appuyer sur la preuve
irréfutable d'un travail qui pourrait justifier la propriété privée19. Mais, pour le législateur, puisque ce critère échappe à l'intelligibilité de la « forme » (où se trouve pourtant l'essence de l'« œuvre de l'esprit » (voir supra n° 84 et s.)), il échappe aussi à
l'essence de l'objet qu'il prétend saisir. La réponse se trouve dans les causalités où
l'appréhension de la « touche » ne fait pas l'économie du « ce en vue de quoi », de la
finalité de l'« œuvre de l'esprit » (voir supra n° 61). Comment, d'ailleurs, affirmer
qu'une « œuvre » soit « de l'esprit » si elle ne se caractérisait que par la « touche » (sans
considération pour son origine mentale) ? La titularité de la propriété incomberait
logiquement à l'agent et non plus toujours à celui qui a conçu. Une telle posture est
incompatible avec la modélisation de l'article L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle, mais au-delà de l'argument d'autorité positiviste, elle ne rend pas compte de
la poiesis (voir supra n° 7). D'ailleurs, dès le chapitre suivant de La vie des formes,
Focillon pose la question de la « cause finale ». « Ces formes qui vivent dans l'espace
et dans la matière ne vivent-elles pas d'abord dans l'esprit ? Ou plutôt n'est-ce pas vraiment et même uniquement dans l'esprit qu'elles vivent, leur activité extérieure n'étant
que la trace d'un processus interne ? »20 Sous cette acception il a pu être soutenu que la
distance physique entre l'« auteur » et la matière se traduit en une distance symbolique de l'« auteur » vis-à-vis de la « forme ».

§ 2. LA DISTANCE ENTRE L'AUTEUR ET LA FORME
356. Retour sur l'opposition entre artiste et artisan - Sur le plan mécanique,
l'entremise d'un outil entre le corps de l'agent et la matière ne semble pas être un
enjeu particulier. Néanmoins, avec le perfectionnement technique des outils, il
émerge une distinction entre l'artiste et le technicien (A) exacerbée, par une temporalité altérée de la « réalisation » (B).
A. L'éMERGENCE D'UN ANTAGONISME
ENTRE ARTISTE ET TECHNICIEN
357. Indifférence relative du truchement des outils dans le « fait de la création » - « Que l'auteur utilise des outils ne change rien, en principe, à l'affaire.
18. Pas une action, mais bien une « activité », c'est-à-dire une « cause motrice ».
19. Confer « Le point qui prête à discussion est l'assimilation de l'acte créatif à un simple travail.
[...] La solution découle de ce que le travail est une énergie. Réduit, dans certains cas extrêmes, à une
pure force mécanique (travail du terrassier ou du porteur) quoique consistant, aujourd'hui, le plus souvent
dans la mise en œuvre d'une compétence transmissible, le travail n'est qu'un facteur de production parmi
d'autres. [...] En contrepoint de cette conception, historiquement première, une seconde approche s'est
dégagée [où] l'énergie indubitable [que] requiert [l'acte créatif] est, à l'inverse, mise au service d'un
processus psychologique intime, exclusif à chaque créateur, maîtrisé par lui seul, en vertu duquel il
exprime invariablement sa personnalité à propos d'un thème qu'il choisit ou qui lui est fourni » P. Gaudrat,
« Les démêlés intemporels d'un couple à succès : le créateur et l'investisseur », op. cit., p. 129-131.
20. H. Focillon, Vie des formes ; suivi de Éloge de la main, op. cit., p. 66.

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