Bibliothèque de droit privé - Tome 606 - Le fait de la création en droit d'auteur français - 334

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LE FAIT DE LA CRéATION EN DROIT D'AUTEUR FRANÇAIS

des formes intelligibles » de Platon et au sens particulier du terme grec eidos dans
la pensée grecque classique3. Elle ne saurait donc être réduite au seul aspect extérieur, la « forme sensible », la morphè dont Simplicius dit qu'elle « [...] est proprement l'apparence extérieure, en tant qu'elle est une conséquence de l'[eidos] »4. Ce
n'est pas non plus l'« Idée transcendante » au sens platonicien (le Bon, le Beau, le
Vrai, le Juste...) La difficulté de la notion d'eidos résulte d'une certaine interchangeabilité lexicale qui se trouve déjà chez les auteurs grecs. En effet, le sens de
« forme intelligible » qui est le sens spécifique que la poïétique attribue à la
« forme », se retrouve, en philosophie, sous le terme eidos comme sous celui d'idea.
Ce flottement lexical, mais aucunement sémantique (ce qui est primordial (voir
supra n° 163)) perdure en latin et en français au point que les termes « forme »
comme « idée » peuvent indistinctement porter ce sens spécifique. Sous l'acception particulière de « forme intelligible », la « forme d'expression » s'articule harmonieusement avec les notions voisines d'« idée » et de « forme sensible ». La
théorie de l'« unité de l'art » achève de donner ses frontières à la notion en opérant, au sein des « formes intelligibles », une distinction entre celles qui relèvent de
l'expression de la personnalité (les « formes d'expression ») et celles qui n'en
relèvent pas, comme par exemple, les « formes techniques ».
456. Inscription de la « réalisation » dans la théorie aristotélicienne des causalités - Sur le plan étiologique, les moyens sont subordonnés aux fins dont ils
permettent la « réalisation ». Cette subordination est riche d'implications notamment parce que le truchement de la technique implique une dégradation de la
« forme intérieure » à l'esprit de l'« auteur » au point que la « forme d'expression »
ne peut en être qu'une version plus au moins fidèle. Le « fait de la réalisation »
relève de la « cause efficiente » ou « motrice » qu'Aristote subdivise en « cause
principale » (l'agent) et « cause instrumentale » (l'instrument mu par l'agent). Par
opposition à la « conception » dont le législateur affirme sans ambigüité qu'elle
doit être « de l'auteur », la « réalisation » n'est affectée dans la loi d'aucune épithète. Cette absence laisse en suspens une question épineuse : les modalités de
l'exécution matérielle de la « réalisation ». Lu littéralement, l'article L. 111-2 du
Code de la propriété intellectuelle requiert seulement la présence de la « conception de l'auteur » dans un support de matière (papier, marbre, toile, air vibrant,
etc.). Rien d'autre n'est exigé. Cette lecture stricte permet en grande partie la
résilience de la loi et de ses principes face aux évolutions techniques multiples et
importantes qui ont pu surgir depuis leur adoption. Depuis l'outil (qui modifie la
géométrie de l'action en permettant d'atteindre la matière avec plus d'efficacité et
plus de précision que ne le peut l'intervention manuelle), jusqu'à la machine (qui,
pour sa part, modifie le rapport de l'agent à la temporalité de la « réalisation »),
les instruments doivent rester au service de la « conception de l'auteur » pour qu'il
y ait juridiquement « fait de la création ». Certes, ce caractère de la machine a
emporté de lourdes conséquences sur le rapport de l'Homme à la matière, mais le
passage de l'artisanat à l'industrie n'est sur ce point qu'un changement de degré
et non de nature. La machine permet toujours le dépôt d'une « empreinte »
3. Centre d'études aristotéliciennes, Philosophie de la forme, op. cit., p 7.
4. Attribué à Simplicius, par : A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie,
op. cit., p. 371, « forme, observations » ; « « Mais la forme n'est pas seulement la configuration
superficielle ; c'est aussi celle selon la définition » - ε δος δ ο τ κατ τ ν πιπόλαιον μορφ ν μόνον,
λλ τ κατ τ ν λόγον » Simplicius, « Commentaire du philosophe Simplicius sur la Physique
d'Aristote Livre II », op. cit., p. 98, note 183.

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