Bibliothèque de droit privé - Tome 607 - La plus-value - 45

LA NATURE ABSTRAITE DE LA PLUS-VALUE

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le domaine de l'évaluation, la plus-value signale l'accroissement de la valeur du
bien. L'abstraction de la plus-value est ainsi construite autour de la nécessité
d'-individualiser une variation positive de valeur, sans pour autant chercher à la
matérialiser dans la chose. La difficulté inhérente à la représentation de toute
abstraction suscite toutefois une complication majeure en ce que l'Homme est
primairement ancré dans la matérialité ce qui le contraint parfois à utiliser des
artifices pour représenter une abstraction. Il en est ainsi de la plus-value puisqu'il
a fallu recourir à un bien possédant la capacité unique de figer une valeur pour la
représenter : la monnaie. Pour cette raison, la conception d'une plus-value renvoie
nécessairement à sa dimension monétaire.
B. LA DIMENSION MONÉTAIRE DE LA PLUS-VALUE
32.  La monnaie, instrument de représentation d'une valeur. Si l'accroissement
des échanges entre les peuples a marqué l'avènement de la société moderne et la
transformation de l'être humain en un « homo œconomicus » reliant les biens aux
personnes40, il aura fallu attendre la création d'un bien aux propriétés uniques, la
monnaie, pour fluidifier l'échange et lever le voile sur la valeur41. La conception
d'une plus-value n'a fait que suivre ce mouvement, dont il convient de retracer les
grandes lignes.
À l'aube de la civilisation moderne, les biens étaient majoritairement échangés pour leurs caractéristiques physiques. Dans une économie de troc, le forgeron
est satisfait lorsqu'il reçoit les denrées produites par l'agriculteur et inversement
l'agriculteur les outils du forgeron. Reste que l'effectivité de ce modèle de marché
suppose que chaque opérateur obtienne une marchandise qui lui convienne42. De
cette exigence, on perçoit le risque d'une société entièrement construite sur le troc.
En l'absence de bien propre à satisfaire ses besoins, l'individu sera plus récalcitrant à échanger, enrayant par la même la mécanique sociale. Du reste, si la valeur
est omniprésente dans l'échange43, le troc dissimule son existence en accentuant
l'aspect structurel des biens échangés, qui sont davantage considérés pour la chose
que pour la valeur. À titre d'exemple, en échangeant une chèvre contre dix bouteilles d'huile, les sujets de l'échange s'intéresseront directement à la satisfaction
utilitaire retirée du bien obtenu. Par contraste, la monnaie ne satisfait pas d'autres
utilités que celles auxquelles renvoie la valeur44.
La supériorité de l'économie monétaire sur l'économie de troc explique son
succès. Toutes sortes d'échanges deviennent possibles puisque le monde est perceptible en comparaison d'un étalon commun45. Pour autant, l'essor de la monnaie ne s'arrête pas là : en créant un lien avec la valeur des biens contre lesquelles
40. J. Dabin, Théorie général du droit, Dalloz, 1969, n° 113 ; R. Sacco, Anthropologie juridique
- Apport à une macro-histoire du droit, Dalloz, 2008, p. 105, 219 ; J. -J. Rousseau, Du contrat social,
Flammarion, 2012, p. 299.
41. W. Dross, Droit civil : Les choses, op. cit., n° 26.
42. B. Sousi-Roubi, « Le contrat d'échange », RTD civ. 1978. 259.
43. R.  Sacco, Anthropologie juridique -  Apport à une macro-histoire du droit, op.cit., p.  218 ;
J. -P. Gastaud, « Libre propos sur l'échange et le partage dans l'ordre sociétaire », in Mélanges en
l'honneur de Philippe Jestaz, Dalloz, 2006, p. 158.
44. Y. Strickler, Les biens, PUF, 1re éd., 2006, n° 96.
45. F. Zénati, « La nature juridique du quasi-usufruit (ou la métempsycose de la valeur) », in
Études offertes à Pierre Catala - Le droit privé français à la fin du xxe siècle, LexisNexis, 2001, p. 605,
n° 30 et s.

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