Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 134

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L'abus de droit en droit international public

- isposition est parfois employée, mais les exemples en la matière restent rares
d
pour des raisons tenant à la fois à la difficulté de la preuve et à l'existence d'une
présomption générale selon laquelle les autorités des États membres agissent de
bonne foi20.
176.  Les rares utilisations de l'article 18 s'expliquent donc par les exigences
assez lourdes de la Cour en termes de preuve. Elle a notamment souligné que
« [l] e simple fait qu'une restriction apportée à une liberté ou à un droit protégé
par la Convention ne remplit pas toutes les conditions de la clause qui la permet
ne soulève pas nécessairement une question sous l'angle de l'article 18. L'examen
séparé d'un grief tiré de cette disposition ne se justifie que si l'allégation selon
laquelle une restriction a été imposée dans un but non-conventionnel se révèle
être un aspect fondamental de l'affaire »21. Par ailleurs, certains auteurs ont souligné le caractère superflu de l'article 18 dans la mesure où, lorsqu'ils sont saisis
d'une telle question, les juges vont tout d'abord se prononcer sur la licéité de la
restriction qui a été instituée par les autorités étatiques et vérifier sa compatibilité avec les dispositions substantielles de la CEDH. Or, la méconnaissance de
l'article 18 constitue un grief distinct qui n'a plus vraiment lieu d'être étudié dès
lors qu'il a été affirmé que la restriction en question méconnaît une disposition
de la CEDH22. Pour reprendre les mots de Vincent Coussirat-Coustère, « [l]e
contrôle de la licéité d'une restriction a en fait été absorbé par la disposition de
la Convention qui autorise la restriction " en tant que telle " , et l'article 18 s'en est
trouvé neutralisé »23.
177.  S'agissant de l'article 30 de la CADH, ce dernier dispose que « [l]es
restrictions autorisées par la présente Convention à la jouissance et à l'exercice
des droits et libertés qui y sont reconnus ne peuvent être appliquées qu'en vertu
de lois édictées dans l'intérêt général et uniquement aux fins pour lesquelles ces
req. n°  69981/14, §§ 153-163 ; Cour EDH, Mammadli c. Azerbaïdjan, 19  avril 2018, req. 47145/14,
§§ 93-105 ; Cour EDH, Khadija Ismayilova c. Azerbaïdjan (n° 2), 27 février 2020, req. n° 30778/15.
Pour d'autres exemples en la matière, voir : W. Schabas, The European Convention on Human Rights :
a commentary, Oxford, Oxford University Press, 2015, 1308 p., pp. 625-627.
20. L. Hennebel, H. Tigroudja, Traité international des droits de l'homme, Paris, Pedone, 2e éd.,
2018, 1 721 p., p. 704 : « Lorsque l'État prétend agir dans le but de protéger la morale, la santé publique
ou la sécurité nationale -  donc agir de bonne foi  -, il est difficile pour le requérant de prouver que tel
n'est pas le cas, et partant, pour l'organe international de conclure à la mauvaise foi de l'État ». Dans
le même sens, voir : P. van Dijk, G.J.H. van Hoof, Theory and practice of the European convention on
human rights, The Hague, Kluwer Law International, 1998, 850 p., p. 757.
21. Cour EDH [GC], Merabishvili c. Géorgie, 28 novembre 2017, req. n° 72508/13, § 291 (nous
soulignons).
22. Voir par exemple : Cour EDH, Nemtsov c. Russie, 31 juillet 2014, n° 1774/11, §§ 126-130 ;
Cour EDH, Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 décembre 2014, req. n° 76204/11, §§ 113-117 ; Cour EDH,
Kasparov c. Russie, 11 octobre 2016, req. n° 53659/07, §§ 70-74.
23. V. Coussirat-Coustère, « Article 18 », in L.-E. Pettiti, E. Decaux, P.-H. Imbert (dir.), La
Convention européenne des droits de l'homme. Commentaire article par article, Paris, Economica, 2e éd.,
1999, pp. 523‑527, p. 526. Par exemple, dans l'arrêt Bozano du 18 décembre 1986, la Cour précise avoir
déjà noté « sur le terrain de l'article 5 § 1 considéré isolément, que la procédure d'expulsion a été déviée
en l'espèce de son objet et de sa finalité naturels. Elle n'estime pas nécessaire d'examiner la même
question sous l'angle de l'article  18 » (Cour EDH, Bozano c. France, 18  décembre 1986, Série A,
n° 111, req. n° 9990/82, § 61). Il convient toutefois de préciser que la faible utilisation de l'article 18
s'explique également par le caractère restrictif de la disposition. En effet, celle-ci n'est susceptible de
concerner que la méconnaissance du but dans l'application concrète de la restriction, et non pas dans
son institution. En effet, l'article 18 précise que les restrictions aux droits et libertés « ne peuvent être
appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues » (Voir V.  Coussirat-Coustère,
« Article 18 », op. cit., pp. 523-524).
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