Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 187

L'ABUS DE DROIT, UNE NOTION AUTONOMISÉE

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en la matière et témoigne du fait que le juge se fonde effectivement sur le but de la
disposition concernée pour procéder à une appréciation du raisonnable.
266.  Cette démarche est notamment perceptible si l'on compare l'appréciation du « délai raisonnable » par le juge selon qu'il s'agit de celui mentionné à
l'article 5 § 3 de la Convention qui dispose que « toute personne arrêtée ou détenue
[...] a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable », ou de l'article 6 § 1, lequel
prévoit le droit de chacun « à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable [...] ». Alors même que ces deux dispositions
ont un contenu similaire, la jurisprudence atteste du fait qu'un même délai peut
être considéré comme raisonnable dans le cadre de l'article 5 § 3, et déraisonnable
au regard de l'article 6 § 1, pour la simple raison que le but de ces deux dispositions
diffère91. S'agissant de l'exigence d'un délai raisonnable pour juger un individu
(article  6  § 1), les raisons d'être d'une telle obligation se devinent aisément et
trouvent leur fondement dans le dicton « justice rétive, justice fautive »92. À mesure
que les délais s'allongent, les risques de perte de preuves et de perte de crédibilité
des témoins s'accentuent et le coût de la procédure augmente. En outre, il s'agit
également à travers cette exigence de protéger le prévenu qui ne doit pas être laissé
indéfiniment dans l'incertitude sur le sort qui lui est réservé. La Cour EDH  a
-précisé dans sa jurisprudence quels étaient les critères dont elle tenait compte pour
trancher la question du « délai raisonnable » et établir son calcul. Selon une
-jurisprudence constante, elle affirme que « [l]e caractère raisonnable de la durée
d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux
critères consacrés par la jurisprudence de la Cour : notamment, la complexité de
l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes »93.
Pour ce qui concerne l'article 5 § 3, il ne vise cette fois que les prévenus placés en
détention et a pour but d'éviter au maximum qu'un individu qui fait l'objet d'une
accusation soit laissé dans l'incertitude quant au sort qui lui est réservé, étant
entendu « que [cette situation d'incertitude] devient beaucoup plus embarrassante
lorsqu'il se trouve en détention provisoire »94. Dès lors que la Cour EDH n'emploie pas les mêmes critères pour évaluer le caractère raisonnable du délai95, un
91. G. Sperduti, « De la notion de délai raisonnable qualifiant la durée de la détention préventive
selon l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme », Revue des droits de l'homme,
1975, pp. 865-868, p. 867 : « la notion de " délai raisonnable " contenue dans l'article 5, paragraphe 3,
par rapport au déroulement de la procédure ne coïncide pas avec la notion de " délai raisonnable "
contenue dans l'article 6, paragraphe 1, toujours par rapport au déroulement de la procédure [...] ».
Dans le même sens : O. Corten, L'utilisation du « raisonnable » (...), op. cit., p. 353.
92. J.-C. Soyer, M. de Salvia, « Article 6 », in L.-E. Pettiti, E. Decaux, P.-H. Imbert (dir.), La
Convention européenne des droits de l'homme. Commentaire article par article, Paris, Economica, 2e éd.,
1999, pp. 239-279, p. 267.
93. Cette formulation est reprise de façon systématique par la Cour EDH  lorsque se pose la
question d'une violation de l'art. 6 § 1 à raison de la durée d'une procédure. Voir par exemple : Cour
EDH (Plén.), König c. Allemagne, 28 juin 1978, Série A, n° 27, req. n° 6232/73, § 99 ; Cour EDH [GC],
Papachelas c. Grèce, 25  mars 1999, req. n°  31423/96, § 37 ; Cour EDH  [GC], Selmouni c. France,
28 juillet 1999, req. n° 25803/94, § 112.
94. M. Picard, P. Titiun, « Article 5 § 3 », in L.-E. Pettiti, E. Decaux, P.-H. Imbert (dir.), La
Convention européenne des droits de l'homme. Commentaire article par article, Paris, Economica, 2e éd.,
1999, pp. 211‑227, p. 221.
95. S'agissant du délai de la détention préventive, les autorités judiciaires nationales sont tenues
de vérifier que celui-ci n'excède pas une durée raisonnable et doivent, à cet effet, s'assurer qu'il existe
des motifs suffisants pour justifier la privation de liberté. À l'origine, la Commission européenne des
droits de l'homme avait proposé que chaque cas d'espèce soit évalué à l'aune de sept critères (voir sur
ce point S. Trechsel, « La durée raisonnable de la détention préventive (Art. 5 par. 3 de la Convention
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