Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 237

LA MATÉRIALISATION DE L'ABUS DE DROIT DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL

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En effet, si l'on reconnaît généralement à l'État la possibilité de procéder à des
déchéances de nationalité, cette compétence est assez faiblement encadrée. La
Convention des Nations Unies de 1961 relative à l'apatridie établit un principe
général en vertu duquel les États ne peuvent procéder à la déchéance de nationalité si cette mesure place l'individu visé dans une situation d'apatridie100, mais elle
ne précise aucunement quels sont les cas de figure dans lesquels l'État peut y
procéder. L'article 15 de la DUDH se contente de préciser que « nul ne peut être
arbitrairement privé de sa nationalité » - cette condition étant réaffirmée par de
nombreuses conventions internationales101. Ce caractère arbitraire semble atteint
dès lors que la déchéance de nationalité constitue un moyen pour l'État de se
défaire de ses obligations à l'égard de ses propres ressortissants, ou qu'elle vise à
se « débarrasser » de citoyens jugés indésirables pour des motifs d'ordre politique102. Il semble d'autant plus marqué lorsque la dénationalisation est opérée
« en masse ». Ainsi, les dénationalisations massives auxquelles procéda la Russie
à l'issue de la Révolution bolchévique ont pu être qualifiées d'abus de droit par
la doctrine, car ces mesures répondaient à des motifs politiques et visaient à bannir les ressortissants russes ayant fui le régime soviétique103. Cette question n'a
pas été évoquée devant les juridictions internationales, mais elle renvoie directement à celle de la compétence dont dispose l'État pour autoriser, limiter ou interdire l'accès d'un individu au territoire étatique, qui fait l'objet d'un contentieux
assez important.
2.	 L'expulsion des individus du territoire étatique
339.  L'autorité dont dispose l'État sur son territoire lui permet de déterminer
les conditions dans lesquelles on y accède, d'autoriser ou de prohiber la présence
d'un individu sur le territoire étatique. De manière générale, les règles du droit international en la matière ne « limite[nt] qu'à peine, sous réserve bien sûr de conventions contraires, le pouvoir qu'a l'État d'aménager l'entrée, le séjour et la sortie des
personnes »104, et l'imprécision de la réglementation est donc propice à la survenance de l'abus de droit. L'expulsion des étrangers par l'État est d'ailleurs l'un des
exemples les plus couramment cités par la doctrine du XXe siècle, mais aussi dans
déterminés, la nationalité à leurs ressortissants. Mais il y a, en toute matière, le droit et l'abus de droit »
(Propos tenus par René Massigli au Conseil de la Société des Nations, le 24 janvier 1936 (in Société des
Nations, Journal officiel, 1936, p. 128)).
100. L'article  8 de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie dispose en ces
termes : « Les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit
le rendre apatride ».
101. Voir notamment l'article  4, c) de la Convention européenne sur la nationalité, ainsi que
l'article  12 § 4 du PIDCP. En outre, le Projet d'articles sur la nationalité des personnes physiques en
relation avec la succession d'États adopté par la CDI  en 1999 précise en son article  16 que « les
personnes concernées ne peuvent être arbitrairement privées de la nationalité de l'État prédécesseur ni
se voir arbitrairement refuser celle de l'État successeur [...] ». Le commentaire de l'article par la
CDI précise d'ailleurs que le but de cette disposition est d'éviter la survenance d'abus dans l'application
de lois ou de traités qui en eux-mêmes, seraient compatibles avec le projet d'articles (Ann. CDI, 1999,
vol. II-2, p. 37).
102. J. Lepoutre, Nationalité et souveraineté, Thèse de doctorat, Droit, Université de Lille, 2018,
875 p., p. 430 ; J. Lepoutre, « Le bannissement des nationaux - Comparaison (France-Royaume-Uni)
au regard de la lutte contre le terrorisme », Revue critique de droit international privé, 2016, pp. 107118, pp. 117-118.
103. J. Lepoutre, Nationalité et souveraineté, op. cit., pp. 434-435.
104. J. Combacau, S. Sur, Droit international public, Paris, Monchrestien, 12e éd., 2016, 830 p.,
p. 370.
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