Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 238

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L'abus de droit en droit international public

des écrits plus récents, pour illustrer la théorie de l'abus de droit105. Dès 1933, Hersch Lauterpacht affirme que le droit d'expulsion « degenerates into an abuse of
rights whenever an alien who has been allowed to take up residence in the country, to
establish his business and set up a home, is expelled without just reason »106.
340.  Si les instruments de protection des droits de l'homme encadrent
aujourd'hui plus strictement la possibilité pour l'État de procéder à des expulsions, plusieurs différends en la matière ont été traités par les organes arbitraux et
peuvent être ici pris pour exemple. Dans l'affaire Ben Tillet107, l'individu était de
nationalité britannique et s'était rendu à Anvers pour y fomenter une grève. En
raison de la menace qu'il représentait pour les intérêts belges, il fut arrêté, incarcéré durant quelques heures, puis expulsé. Le Royaume-Uni ne contestait pas
l'expulsion en elle-même, mais considérait que celle-ci avait été réalisée de manière
déraisonnable au regard des conditions d'incarcération de son ressortissant. Dans
sa sentence, l'arbitre réaffirme la liberté de l'État de procéder à l'expulsion des
étrangers se trouvant sur son territoire et déboute les autorités britanniques en
considérant que le gouvernement belge n'était « pas sorti de son rôle » et n'avait
pas « excédé son droit »108. Plusieurs auteurs voient dans cette affaire une utilisation de la notion d'abus de droit109. Si l'expression n'est jamais consacrée dans la
sentence, le contrôle exercé par l'arbitre consiste en effet à examiner les conditions
d'exercice du droit d'expulsion, sans pour autant remettre en cause l'existence de
ce droit. En recherchant si l'expulsion n'a pas été effectuée dans des conditions
déraisonnables, l'arbitre recherche implicitement l'existence d'un abus de droit.
341.  L'étude des affaires Maal110 et Paquet111 conduit à des conclusions similaires. Dans chacune de ces sentences, le droit d'expulsion n'est pas dénié, mais les
conditions de son exercice sont critiquées. Les arbitres reconnaissent le fait que
l'État ne jouit pas d'une liberté totale et ne peut procéder à l'expulsion que dans
des conditions qui ne sont pas arbitraires, et pour des motifs légitimes112. L'exercice du pouvoir de l'État est donc limité par l'interdiction de l'abus de droit, mais
l'affirmation de la notion dans ces différents cas de figure ne résulte que de sousentendus ou d'interprétations. L'existence de cette limite est toutefois rappelée
105. Outre les nombreuses hypothèses mentionnées dans les thèses d'Alexandre-Charles Kiss et
Séléa Trifu, voir, pour un exemple plus récent : « Expulsion des étrangers », Étude du Secrétariat des
Nations Unies, 10 juillet 2006 (A/CN.4/565), p. 138, § 207.
106. H. Lauterpacht, The function of law in the international community, Oxford, Clarendon
Press, 1933, 469 p., p. 297.
107. Affaire Ben Tillet (Grande-Bretagne c. Belgique), Sentence arbitrale du 26 décembre 1898,
RGDIP, 1899, p. 46.
108. Voir les extraits de la sentence cités par Politis (N. Politis, « Le problème des limitations
(...) », op. cit., p. 107).
109. S.  Trifu, op.  cit., pp.  148-152 ; N.  Politis, « Le problème des limitations (...) », op.  cit.,
p. 107.
110. Affaire Maal (Pays-Bas c. Vénézuela), Sentence arbitrale du 28 février 1903, RSA, vol. X,
p. 730.
111. Affaire Paquet (Belgique c. Vénézuela), Sentence arbitrale du 7 mars 1903, RSA, vol. IX,
p. 323.
112. Dans l'affaire Paquet, l'arbitre affirme que « le droit d'expulser des étrangers ou d'interdire
leur entrée sur le territoire national est généralement reconnu ; que chaque État réserve à lui-même
l'exercice de ce droit à l'égard de l'étranger s'il le considère comme dangereux à l'ordre public ou pour
des considérations d'ordre hautement politique, mais que ce droit ne peut être exercé que pour ces buts
[...] » (traduction de la sentence par A.‑Ch. Kiss, L'abus de droit (...), op. cit., p. 134). Pour d'autres
exemples d'abus dans l'exercice du droit d'expulsion, voir : G. S. Goodwin-Gill, « The Limits of the
Power of Expulsion in Public International Law », BYIL, 1974-1975, pp. 55-156.
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