Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 29

INTRODUCTION

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Par conséquent, les hypothèses d'abus de droit qui peuvent y être identifiées
répondent à des logiques propres au système d'intégration que constitue l'Union
européenne78 et présentent donc des spécificités matérielles qui justifient que l'abus
de droit en son sein soit l'objet d'une étude à part entière79.
17.  Par ailleurs, bien qu'elle ait une vocation généraliste, l'étude de l'abus de
droit en droit international public conduit à s'intéresser plus particulièrement à la
pratique des juridictions. En effet, la notion d'abus de droit se caractérise par le
fait que sa reconnaissance tient essentiellement à l'intervention du juge et, en
dépit de ses consécrations conventionnelles ou doctrinales, elle constitue avant
tout un outil « entre les mains de l'interprète des situations juridiques »80, ce qui
suppose d'évaluer ses manifestations par le prisme juridictionnel81. Cette approche
contentieuse n'est pas sans soulever de difficultés, car la multiplicité des juridictions internationales, la spécificité du contentieux qu'elles sont amenées à traiter
ainsi que leur caractère décentralisé risquent de mettre en lumière des disparités
dans l'appréhension de l'abus de droit et de fragiliser l'analyse unitaire de la
notion. Ces divergences jurisprudentielles pourraient même laisser penser que
toute tentative de systématisation est vaine et qu'il conviendrait plutôt d'adopter
une approche « par branches »82. Celle-ci doit cependant être écartée, car, si l'on
78. Dans la mesure où l'Union européenne promeut la libre circulation des biens, des services,
des capitaux et des personnes, elle offre la possibilité aux individus et aux investisseurs d'exploiter les
différences de réglementation d'un État membre à l'autre. La reconnaissance de l'abus de droit commis
par un individu qui chercherait à bénéficier d'une législation plus avantageuse peut ainsi se heurter à
la logique du système d'intégration. Voir à cet égard S. Vogenauer, « The Prohibition of Abuse of
Law : An Emerging Principle of EU Law », in R. de la Feria, S. Vogenauer (dir.), Prohibition of
Abuse of Law - A New General Principle of EU Law ?, Oxford, Hart Publishing, 2011, pp. 521-571,
pp. 549-550 : « The freedoms are meant to promote the Union's key goal of market integration and thus
to encourage the movement of persons, goods, services, and capital between jurisdictions. As a general
rule, it is clearly legitimate and even desirable that citizens and companies should exploit the differences
between regulatory regimes for their own (and, ultimately, for the overall) benefit.  As a matter of
principle, such choices ought to be protected, rather than being labelled 'abusive' and prohibited. [...]
Any application of a prohibition of abuse is therefore raising an obstacle to market integration and has
the capacity to undermine the internal market ».
79. 
De telles études ont d'ailleurs été menées. Voir notamment : R.  Ionescu, op.  cit. ;
D. Waelbroeck, « La notion d'abus de droit dans l'ordre juridique communautaire », in Mélanges en
hommage à Jean-Victor Louis, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 2003, vol. I, pp. 595616 ; D. Simon, A. Rigaux, « La technique de consécration d'un nouveau principe général du droit
communautaire : l'exemple de l'abus de droit », in Mélanges en hommage à Guy Isaac : 50 ans de droit
communautaire, Toulouse, Presses de l'Université des sciences sociales de Toulouse, 2004, pp.  559587 ; R. de la Feria, S. Vogenauer (dir.), Prohibition of Abuse of Law - A New General Principle of
EU Law ?, Oxford, Hart Publishing, 2011, 636 p. ; D. Triantafyllou, « L'interdiction des abus de
droit en tant que principe général du droit communautaire », Cahiers de droit européen, 2002,
pp. 611-663.
80. L. Eck, op. cit., p. 43.
81. En pratique, l'hypothèse même de l'abus de droit suppose que l'exercice d'un droit par son
titulaire suscite le mécontentement d'autrui. Ainsi, elle se manifeste généralement sous la forme d'une
prétention juridique dans le cadre d'un « différend », entendu au sens large comme tout « désaccord
sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d'intérêts
entre deux personnes » (CPJI, Concessions Mavrommatis en Palestine (exception d'incompétence),
Arrêt du 30 août 1924, Série A, n° 2, p. 11 ; CIJ, Cameroun septentrional (exceptions préliminaires)
(Cameroun c. Royaume-Uni), Arrêt du 2 décembre 1963, Rec. 1963, p. 27).
82. Comme le souligne Hélène Ruiz-Fabri, « [o]n admettra sans peine qu'il n'y a pas grand-chose
de commun entre un litige opposant un fonctionnaire international à l'organisation internationale qui
l'emploie à propos de ses conditions d'emploi ou de licenciement, un différend opposant deux États
voisins à propos de la délimitation de leurs mers territoriales, un litige opposant la Commission
européenne à un État membre concernant la transposition d'une directive communautaire, un litige
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