Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 294

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L'abus de droit en droit international public

« pris dans leur ensemble »38, car c'est là seulement qu'ils révèlent l'attitude abusive de l'État requérant. Autrement dit, si la saisine de la Cour en tant que telle
ne révèle pas de caractère abusif et semble avoir été présentée de manière appropriée, une vision plus globale du différend démontre qu'elle participe d'une
-stratégie visant à utiliser de manière artificielle le principe des immunités diplomatiques pour faire entrave à des poursuites pénales39. Aussi, bien qu'en l'espèce
l'invocation des immunités diplomatiques soit manifestement abusive et même si
la saisine de la Cour participe de cette manœuvre, la requête ne peut constituer
un abus de procédure dès lors que l'abus en question n'a pas un caractère exclusivement préliminaire. Comme l'affirme le juge Owada dans une déclaration
jointe à l'arrêt : « abstraction faite de la solidité juridique de son argument sur ce
point, il est clair que la demande de la France, dans la forme sous laquelle elle est
présentée, ne peut plus être considérée comme étant par nature " une exception
préliminaire " au sens procédural »40.
433. Ces développements mettent en évidence le fait que l'établissement de
l'abus de droit et sa reconnaissance par les juridictions est particulièrement difficile lorsque l'argument est soulevé au stade de la recevabilité. Il ne s'agit pas
pour autant d'un obstacle insurmontable. En effet, plusieurs tribunaux
CIRDI ont considéré dès le stade préliminaire de certaines affaires qu'un abus
de procédure était constitué, alors même qu'il est admis que « [u]nder general
international law as well as under ICSID case law, abuse of right is to be determined in each case, taking into account all the circumstances of the case »41. Les
difficultés à prouver l'existence d'un abus au stade préliminaire témoignent,
plus largement, d'une certaine hésitation des juridictions qui traitent la question tantôt au stade des exceptions préliminaires, tantôt lors de l'examen du
fond de l'affaire. Leurs oscillations sont la preuve d'incertitudes procédurales
dans le maniement de l'abus de droit.
B. Les incertitudes procédurales relatives au rejet
d'une requête abusive
434. L'étude du contentieux international témoigne du fait que l'invocation de l'abus de droit peut engendrer des hésitations procédurales, tant pour
les parties que pour les juridictions elles-mêmes. Ces incertitudes tiennent tout
d'abord à l'imprécision jurisprudentielle en la matière. L'argument de l'abus de
38. Plaidoirie française, CIJ, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France)
(exceptions préliminaires), Arrêt du 6 juin 2018, CR 2018/2, p. 53, § 21.
39. CIJ, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) (exceptions préliminaires),
Arrêt du 6 juin 2018, Rec. 2018, Opinion dissidente de la juge Donoghue, § 6.
40. Ibid., Déclaration de M. le juge Owada, § 18. La Cour aurait toutefois pu déclarer que
l'exception n'avait pas de caractère exclusivement préliminaire, comme le prévoit l'article 79 § 9 du
Règlement de la Cour, permettant ainsi à l'argument de l'abus de procédure de subsister, et d'être
étudié ultérieurement, au moment où les juges disposeraient des informations nécessaires pour
trancher cet aspect. Ce raisonnement trouve sa limite dans le fait que les exceptions d'incompétence et
d'irrecevabilité ont très souvent un lien avec le fond, et qu'en renvoyant systématiquement leur
examen, on risque d'augmenter considérablement le travail des juges et de porter atteinte à la bonne
administration de la justice (Voir R. Kolb, La Cour internationale de Justice, op. cit., pp. 261-266).
41. CIRDI, Mobil Corporation et autres c. Venezuela, n° ARB/07/27, Décision sur la compétence,
10 juin 2010, § 177 (nous soulignons). Voir aussi : CIRDI, Renée Rose Levy et Gremcitel SA c. Pérou,
n° ARB/11/17, 9 janvier 2015, § 186 ; CPA/CNUDCI, Philip Morris Asia Limited c. Australie, Sentence
sur la compétence et recevabilité du 17 décembre 2015, Affaire n° 2012-12, § 539.

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