Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 295

LA RÉCEPTION DE L'ABUS DE DROIT PAR LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES

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droit n'est que rarement accueilli et la plupart des juridictions internationales
ne s'étendent pas vraiment à son sujet, laissant les règles relatives à son utilisation concrète assez incertaines. De plus, les hésitations sont également dues au
fait que les solutions varient en fonction de la nature du contentieux, ce qui ne
renforce pas la lisibilité des règles en matière d'abus de droit. La doctrine s'est
ainsi interrogée sur le fait de savoir si, en l'absence de fondement conventionnel
précis, les juridictions pouvaient employer la notion d'abus et rejeter une
requête qui aurait un caractère abusif  (1). Cet élément ne fait plus de doute
aujourd'hui, mais en revanche, la question de savoir si l'argument de l'abus de
procédure constitue un moyen d'incompétence ou d'irrecevabilité fait toujours
l'objet de débats (2).
1.	 Les hésitations quant à la compétence de la juridiction
435.  La compétence d'une juridiction pour déclarer une requête irrecevable sur le fondement de l'abus de procédure ne pose pas de difficulté particulière lorsqu'elle repose sur une disposition conventionnelle incorporée à son
Règlement ou au texte l'instituant. Tel est le cas par exemple de l'article 294 de
la CNUDM qui dispose que « la Cour ou le tribunal prévu à l'article 287 saisi
d'une demande au sujet d'un différend visé à l'article 297 décide, à la requête
d'une partie, ou peut décider d'office, si cette demande constitue un abus des
voies de droit ou s'il est établi prima facie qu'elle est fondée. [...] ». De manière
similaire, l'article 35 § 3 de la CEDH donne compétence à la Cour EDH pour
déclarer une requête individuelle irrecevable sur le fondement de l'abus de
droit.  Dans ces cas de figure, la compétence de la juridiction est directement
fondée sur la clause qui leur donne le pouvoir de sanctionner le caractère abusif
d'une requête en la rejetant. Des hésitations peuvent cependant surgir lorsque
l'argument de l'abus de droit est invoqué par l'une des parties alors même
qu'aucun texte ne prévoit expressément la possibilité pour la juridiction de rejeter la requête au motif qu'elle serait abusive. S'agissant des tribunaux CIRDI,
ce pouvoir peut être déduit de certaines dispositions de la Convention de Washington. En effet, l'article  44 de la Convention autorise le Tribunal à trancher
« toute question de procédure », même non prévue par la Convention ou par le
Règlement d'arbitrage42.
436.  D'autres arguments peuvent être invoqués pour fonder la compétence
de la juridiction à sanctionner l'abus. Dans l'affaire Waste Management Inc
c. Mexique, l'État défendeur affirmait que la notion d'abus de procédure pouvait être appliquée par le Tribunal, non pas sur le fondement d'un principe général de droit, mais en raison du pouvoir implicite dont il disposait pour préserver
l'intégrité de sa procédure43. Le Tribunal ne rejette pas totalement l'idée mais
écarte l'argument de l'abus de procédure en l'espèce44. De manière générale, la
42. Il faut également souligner le fait que, en vertu de l'article 41 § 5 introduit en 2006 dans le
Règlement d'arbitrage CIRDI, le Tribunal peut rejeter les demandes manifestement dénuées de
fondement juridique. La question de savoir si les demandes manifestement infondées relèvent de l'abus
de procédure reste toutefois discutée. Voir supra § 378.
43. U.  Topcan, « Abuse of the Right to Access ICSID Arbitration », ICSID Review, 2014,
pp. 627-647, p. 633.
44. CIRDI, Waste Management Inc c. Mexique (« Number 2 »), n° ARB(AF)/00/3, Décision
relative à l'exception préliminaire soulevée par le Mexique, 26 juin 2002, § 49 : « It may be inferred that
if such a power exists, it would only be for the purpose of protecting the integrity of the Tribunal's
processes or dealing with genuinely vexatious claims ».
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