Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 297

LA RÉCEPTION DE L'ABUS DE DROIT PAR LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES

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nécessaire de justifier de sa compétence pour ce faire50, suggérant ainsi un pouvoir inhérent pour sanctionner l'abus51.
2.	 Les incertitudes quant à la nature du moyen de l'abus de procédure
438.  Partant du principe que les juridictions disposent d'un pouvoir inhérent pour rejeter une requête qui présenterait un caractère abusif, les parties
invoquent le plus souvent cet argument au stade préliminaire de l'affaire, espérant
ainsi mettre un terme le plus rapidement au différend plutôt que d'entamer des
débats au fond52. Ce faisant, elles doivent toutefois opérer une qualification juridique et déterminer si l'argument tiré de l'abus de procédure constitue un moyen
d'incompétence ou d'irrecevabilité. La distinction entre incompétence et irrecevabilité est souvent malaisée et peut sembler superflue dans la mesure où ces moyens
conduisent chacun au rejet de la requête par le juge. Leurs conséquences sont
cependant sensiblement différentes et il importe de réussir à déterminer si l'abus
de procédure relève de l'une ou l'autre de ces catégories53. L'approche des plaideurs en la matière varie d'un cas de figure à l'autre.
439.  Pour ce qui concerne les différends devant la CIJ, il arrive que l'une des
parties se fonde sur le fait que la partie adverse commettrait un abus de procédure
50. CIJ, Jadhav (Inde c. Pakistan), Arrêt du 17  juillet  2019, Rec.  2019, § 49 ; CIJ, Certains actifs
iraniens (Iran c. États-Unis) (exceptions préliminaires), Arrêt du 13 février 2019, Rec. 2019, § 113 ; CIJ,
Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) (exceptions préliminaires), Arrêt du 6 juin
2018, Rec.  2018, § 150. Voir également la sentence arbitrale rendue dans l'affaire de la Mer de Chine
méridionale, qui affirme : « the Tribunal is entitled to determine proprio motu whether the Philippines' claim
constitutes an abuse of legal process » (CPA, Arbitrage relatif à la Mer de Chine méridionale (Philippines c.
Chine), Sentence sur la compétence et recevabilité du 29 octobre 2015, Affaire n° 2013-19, § 128).
51. Voir aussi la jurisprudence de la CPI qui a fait preuve de quelques hésitations en la matière.
Dans l'affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, elle fut confrontée à la question de savoir si elle
disposait du pouvoir implicite de mettre un terme à l'instance en raison d'un abus de procédure. La
Chambre d'appel affirma que l'article 4 § 1 du Statut de Rome ne pouvait en aucun cas être interprété
en ce sens, en précisant que « ce pouvoir n'est généralement pas reconnu comme indispensable à un
tribunal, en tant qu'un attribut indissociable du pouvoir judiciaire » (CPI, Le Procureur c. Thomas
Lubanga Dyilo, Arrêt relatif à l'appel interjeté par Thomas Lubanga Dyilo contre la décision du
3 octobre 2006 relative à l'exception d'incompétence de la Cour soulevée par la Défense en vertu de
l'article 19-2-a du Statut, 14 décembre 2006, ICC-01/04-01/06-772-tFRA, § 35). Dans sa jurisprudence
ultérieure, elle a tout de même admis la possibilité de mettre fin à la procédure de manière exceptionnelle
en cas d'abus de procédure, sans pour autant se fonder sur ses pouvoirs inhérents. Ainsi, dans l'affaire
Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, la Chambre de première instance III reconnaît la possibilité
de suspendre la procédure en raison d'un « abus de procédure » en se fondant sur l'article 21 § 3 du
Statut de Rome en vertu duquel l'application et l'interprétation du cadre défini par le Statut de Rome
doivent être compatibles avec les droits de l'homme internationalement reconnus. Voir : CPI, Le
Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Décision relative aux exceptions tirées de l'irrecevabilité de
l'affaire et de l'abus de procédure, 24 juin 2010, ICC-01/05-01/08-802, §§ 252-253 ; C. Stahn, The Law
and Practice of the International Criminal Court, Oxford, Oxford University Press, 2015, 1326 p., p. 487.
52. Il faut cependant souligner que tel n'est pas toujours le cas, l'allégation d'abus de procédure
pouvant être intrinsèquement liée au bien-fondé de la requête, de telle sorte qu'elle ne peut être étudiée
de manière préliminaire. Les propos tenus par la CIJ dans l'affaire des Immunités et Procédures pénales
suggèrent d'ailleurs que l'allégation d'abus de procédure ne constitue pas nécessairement une question
préliminaire, la Cour affirmant qu'elle « peut être examiné[e] au stade préliminaire » (CIJ, Immunités
et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) (exceptions préliminaires), Arrêt du 6 juin 2018,
Rec. 2018, § 150).
53. Lorsque la juridiction se déclare incompétente, il est en principe impossible de représenter la
requête. À l'inverse, si la requête est jugée irrecevable, elle peut théoriquement être à nouveau soumise à la
juridiction dès lors que les conditions de recevabilité sont remplies  : E. De Brabandère, « Good Faith,
Abuse of Process and the Initiation of Investment Treaty Claims », Journal of International Dispute
Settlement, 2012, pp. 609-636, p. 617 ; M. Grange, pouvoir juridictionnel - L'exemple de la Cour internationale
de Justice, Thèse de doctorat, Droit, Université de Paris 2 Panthéon-Assas, 2011, 729 p., pp. 145-150.
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