Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 409

LES FONCTIONS RÉGULATRICES DE L'ABUS DE DROIT

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et sur la garantie juridique de ses effets. Les développements menés dans cette
étude ont déjà permis de préciser certains de ces aspects, et ne laissent pas de doute
quant au caractère normatif du principe d'interdiction de l'abus de droit118. En
outre, le caractère axiomatique de l'interdiction de l'abus de droit témoigne de son
importance au sein de l'ordre juridique international et lui confère un caractère
indérogeable (1). L'importance qui lui est ainsi reconnue et le fait qu'il constitue le
support de nombreuses concrétisations normatives suggèrent qu'il s'agit d'un
principe doté d'une importante « puissance normative » (2).
1.	 L'indérogeabilité de l'interdiction de l'abus de droit
628.  Les développements relatifs au caractère « constitutionnel » ou « indérogeable » de l'interdiction de l'abus de droit conduisent nécessairement à s'interroger sur son degré de normativité. Le caractère indérogeable d'une norme est
souvent rattaché à son impérativité, dans la mesure où les normes impératives
sont définies comme celles auxquelles « aucune dérogation  n'est permise »,
comme l'énonce l'article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Dès lors, affirmer le caractère indérogeable de l'interdiction de l'abus de droit
reviendrait à considérer qu'il s'agit d'une norme faisant partie de la catégorie du
jus cogens. Une telle affirmation repose toutefois sur une conception large et
controversée du jus cogens, qu'il convient ici d'éclairer. Dans son acception traditionnelle, le jus cogens constitue un mécanisme permettant de protéger les « valeurs
fondamentales de la communauté internationale »119 - l'ambiguïté résidant dans
l'imprécision de cette expression. La doctrine majoritaire rattache la notion de jus
cogens à celle d'« ordre public international »120, dont le contenu reste imprécis,
mais qui comprendrait de manière certaine des normes bien connues telles que
l'interdiction de la torture, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ou encore
l'interdiction du recours à la force dans des conditions contraires à la Charte des
Nations Unies. Dès lors, le contenu du jus cogens semble se limiter à des normes
renfermant des « considérations élémentaires d'humanité »121 et les « principes de
morale les plus élémentaires »122. L'indérogeabilité associée à ces normes repose
118. Voir supra § 162.
119. Dans son premier rapport à la CDI consacré à la notion de jus cogens, le Rapporteur spécial
Dire Tladi propose plusieurs conclusions, et décrit les normes de jus cogens en affirmant notamment
qu'elles « protègent les valeurs fondamentales de la communauté internationale » (« Jus cogens »,
Premier rapport présenté par D. Tladi, 2016, A/CN.4/693, § 63, § 71, et § 74).
120. Dans son arrêt Kadi, le Tribunal de première instance des Communautés européennes
affirme que les normes de jus cogens constituent « un ordre public international qui s'impose à tous les
sujets du droit international [...] » (TPICE, Yassin Abdullah Kadi c. Conseil de l'Union européenne et
Commission des Communautés européennes, affaire T-315/01, 21  septembre 2005, § 226). Plus
largement, les auteurs qui relient la notion de jus cogens à celle d'« ordre public international » sont
extrêmement nombreux, comme en témoignent les références faites par Robert Kolb à cet égard
(R. Kolb, Théorie du ius cogens (...), op. cit., p. 68, notes 180 et 182).
121. CIJ, Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), Arrêt du 9 avril 1949, Rec. 1949, p. 22.
Bien qu'elle ne renvoie pas expressément au jus cogens, la formule employée par la Cour suggère que
ces principes ne tolèrent aucune dérogation. Du reste, la formule « considérations élémentaires » est
réemployée par la Cour ultérieurement pour consacrer le caractère « intransgressible » de certaines
règles de droit international coutumier (CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires,
Avis consultatif du 8 juillet 1996, Rec. 1996, p. 257, § 79) (Voir : P.-M. Dupuy, « Le jus cogens, les mots
et les choses. Où en est le droit impératif devant la CIJ, près d'un demi-siècle après sa proclamation ? »,
in E. Cannizzaro (dir.), The Present and Future of Jus Cogens, Rome, Sapienza Università Editrice,
2015, pp. 99-130, pp. 104-105).
122. CIJ, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
Avis consultatif du 28 mai 1951, Rec. 1951, p. 23.
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