Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 49

LA NOTION D'ABUS DE DROIT

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des politiques internes et externes14. De ce fait, la frontière entre les matières relevant de l'ordre juridique interne et les questions d'ordre international n'est pas
rigoureusement fixée15. Ainsi, même si certaines matières touchent à la vie intime
de l'État, « il n'existe aucune matière qui par sa nature même serait réservée au
droit national et ne pourrait être réglée par le droit international »16. Même les
questions relatives à la nationalité, à la politique sociale, ou relevant du droit
pénal peuvent être réglées par une norme de droit international, sans que cela
n'affecte le caractère souverain de l'État. Rien ne s'oppose à ce que les États se
lient conventionnellement dans ces matières et la marge de discrétion dont ils
disposent peut également se voir restreinte par une réglementation émanant d'une
organisation internationale17. Ces matières relevant de la « vie privée » de l'État
sont l'apanage du droit interne, mais elles ne sont pas soustraites au droit international qui reste susceptible de s'en saisir18. Il est donc impossible de dégager une
liste de matières qui seraient entièrement réglées par les États de manière autonome, sans que la moindre incursion du droit international ne soit concevable19.
14. Voir J. Verhoeven, « Non intervention : " affaires intérieures " ou " vie privée "  ? », in Le droit
international au service de la paix, de la justice et du développement. Mélanges Virally, Paris, Pedone, 1991,
pp. 493-500, p. 497 : « ce sont d'immenses pans de la vie sociale qui ont, au moins pour partie, basculé dans
les sphères du droit des gens, à la faveur d'une internationalisation croissante des rapports humains ».
15. G.  Guillaume, « Article  2 paragraphe  7 », in J.-P. Cot, A. Pellet, M.  Forteau (dir.), La
Charte des Nations Unies : commentaire article par article, Paris, Economica, 3e éd., 2005, pp. 485-507,
p. 498.
16. H.  Kelsen, « Théorie du droit international public », RCADI, 1953, vol.  84, pp.  1-203,
pp. 112-113.
17. Cet élément ressort notamment de l'arrêt rendu dans l'affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci. La Cour affirme tout d'abord que « [l]es orientations
politiques internes d'un État relèvent de la compétence exclusive de celui-ci pour autant bien entendu,
qu'elles ne violent aucune obligation de droit international. Chaque État possède le droit fondamental de
choisir et de mettre en œuvre comme il l'entend son système politique, économique et social » (CIJ, Affaire
des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (fond) (Nicaragua c. États-Unis
d'Amérique), Arrêt du 27  juin 1986, Rec.  1986, p.  131, § 258). Elle précise néanmoins au paragraphe
suivant de l'arrêt qu'il n'existe pas d'obstacle à ce qu'un État se lie par voie d'accord sur une question de
politique intérieure, excluant ainsi implicitement l'existence d'un domaine réservé par nature.
18. H. Kelsen, « Théorie générale du droit international public. Problèmes choisis », RCADI,
1932, vol.  32, pp.  117-352, p.  178. L'auteur considère qu'il existe bien des questions qui sont
habituellement réglées par le droit interne, mais affirme que celles-ci ne sont pas laissées à la
compétence exclusive de l'État, et « les normes du droit international peuvent donc se rapporter à
n'importe quel objet ». Voir également : J. Basdevant, « Règles générales du droit de la paix », RCADI,
1936, vol. 58, pp. 471-715, p. 611 ; N. Politis, « Le problème des limitations (...) », op. cit., p. 49 ;
O. Thiam, L'évolution du droit international public et la notion de domaine de compétence nationale de
l'État, Thèse de doctorat, Droit, Université de Reims, 2014, 497  p., p.  254 ; P.  C. Ulimubenshi,
L'exception du domaine réservé dans la procédure de la Cour internationale, Thèse de doctorat, Droit,
Université de Genève, 2003, 366 p., pp. 37-40.
19. S'il existe bien des matières qui semblent constituer un « terrain juridiquement inexploré » dont
le droit international tend à se tenir à l'écart, cette abstention résulterait d'une volonté de ne pas porter
trop largement atteinte à l'autonomie des États et, notamment, de ne pas s'immiscer dans ce qui relève
de sa « vie privée ». En tout état de cause, cette sphère de « vie privée » est conçue de manière stricte et
ne comprend que des questions constitutionnelles telles que la forme de l'État, sa structure politique ou
la réglementation de ses pouvoirs publics. Voir : J. Verhoeven, « Non intervention (...) », op. cit., p. 499 ;
A. Verdross, « Le principe de la non-intervention  (...) », op.  cit., pp.  267-276 ; A. Verdross, « La
" compétence nationale " (...) », op. cit., p. 319 ; J. H. W. Verzijl, « Le domaine réservé de la compétence
nationale exclusive », in Scritti di diritto internazionale in onore di Tomaso Perassi, Milan, Giuffrè, 1957,
vol. II, pp. 391-403. Voir également L. Le Fur, « Règles générales du droit de la paix », op. cit., p. 292 ;
R. Kolb, « Du domaine réservé (...) », op. cit., p. 625 ; A. Ross, « La notion de " compétence nationale "
dans la pratique des Nations Unies -  Une rationalisation a posteriori », in Mélanges offerts à Henri
Rolin  - Problèmes de droit des gens, Paris, Pedone, 1964, pp. 284-299, p. 291.
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