Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 64

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L'abus de droit en droit international public

préalable à l'exercice du pouvoir ou l'aptitude légale à exercer le pouvoir92. En
effet, dans la mesure où la question de l'abus renvoie aux conditions d'exercice
d'une prérogative, sans interroger l'aptitude ou le fait qu'une entité dispose effectivement d'une telle prérogative, le terme « pouvoir » peut apparaître plus adéquat. Il est parfois préféré pour désigner les hypothèses dans lesquelles l'exercice
d'une prérogative juridique implique une relation d'autorité ou de hiérarchie :
celle d'un État Mandataire vis-à-vis des territoires qu'il administre93, d'une organisation internationale face aux fonctionnaires agissant à son service94, ou encore
d'un État par rapport à ses administrés. Les théoriciens distinguent les pouvoirs
des droits subjectifs, en soulignant le fait que les premiers seraient des « droits à
esprit altruiste » ou des prérogatives accordées à un sujet dans l'intérêt d'autrui,
tandis que les seconds seraient des « droits à esprit égoïste », accordés pour la
réalisation d'un intérêt propre95. Mais si la terminologie varie, l'essence de la
notion reste la même. La formule « abus de pouvoir » ne semble pas pouvoir être
clairement distinguée de celle d'« abus de droit » et l'expression « abus de pouvoir » désigne sans nul doute l'usage détourné ou excessif d'une prérogative juridique par son titulaire. Au demeurant, le Dictionnaire de droit international public
précise que l'abus de droit constitue l'exercice « d'un droit, d'un pouvoir ou d'une
compétence » de façon détournée96, témoignant ainsi de l'indifférence quant aux
termes employés.
69.  Ces diverses expressions renvoient donc à la même notion et il ne paraît
pas nécessaire de s'attarder davantage sur ces divergences terminologiques97. Par
souci de clarté, il semble préférable de parler de l'abus d'un « droit », car ce terme
semble être le plus à même d'embrasser la multiplicité des hypothèses étudiées. Le
terme « droit » renvoie ici au « droit subjectif » en tant que « faculté juridique
[d'un sujet de droit] qui découle de l'ordre juridique »98. En définitive, la
92. Gérard Cahin note l'assimilation souvent faite dans la doctrine, entre les notions de
compétence et de pouvoir. L'auteur souligne toutefois que les deux notions peuvent être rigoureusement
différenciées : « le pouvoir désigne cette fois l'exercice d'une action par une autorité, et spécialement
la production d'actes juridiques, et la compétence, le domaine ou la sphère d'action dans lequel cette
autorité est habilitée à agir. [...] Il résulte de cette précision essentielle que la compétence, au sens strict
ici retenu, n'est jamais à proprement parler discrétionnaire ou liée : ce caractère qualifie seul le pouvoir,
mais non la compétence, qui ne peut être, elle, en tout cas du point de vue de ses modalités d'exercice,
qu'exclusive ou concurrente »  (G. Cahin, « La notion de pouvoir discrétionnaire appliquée aux
organisations internationales », RGDIP, 2003, pp.  535-600, p.  540). Selon le Dictionnaire de droit
international, la « compétence » désigne « l'ensemble des pouvoirs reconnus ou conférés par le droit
international à un sujet de droit ou à une institution ou un organe, les rendant aptes à remplir des
fonctions déterminées et à accomplir les actes juridiques qui en découlent » (J. Salmon (dir.),
Dictionnaire (...), op. cit., p. 210 ; nous soulignons).
93. Voir l'emploi de l'expression « abus de pouvoir » par les juges Tanaka et Forster dans leurs
opinions jointes à l'affaire du Sud-Ouest africain (CIJ, Sud-Ouest africain (deuxième phase) (Éthiopie c.
Afrique du Sud ; Liberia c. Afrique du Sud), Arrêt du 18 juillet 1966, Rec. 1966, p. 301, pp. 481-482).
94. 
La jurisprudence du TAOIT  connaît de nombreuses allégations de fonctionnaires
internationaux, affirmant qu'un « abus de pouvoir » a été commis par leur supérieur hiérarchique. Les
allégations d'« abus de droit » sont, elles, moins fréquentes. Voir par exemple : TAOIT, Susanne
Stenberg c. Organisation européenne des brevets, 31 janvier 2001, Jugement n° 2028 ; TAOIT, C.S.R. c.
Organisation panaméricaine de la santé, 14 juillet 2004, Jugement n° 2363 ; TAOIT, Mrs L.V. c. OMS,
6 février 2013, Jugement n° 3193 ; TAOIT, Mme H.A. c. CPI, 26 juin 2018, Jugement n° 4003.
95. La distinction entre les « droits à esprit altruiste » et les « droits à l'esprit égoïste » provient
de Louis Josserand (L. Josserand, op. cit., pp. 418-423).
96. J. Salmon (dir.), Dictionnaire (...), op. cit., pp. 3-4.
97. J. Verhoeven, La reconnaissance (...), op. cit., p. 620.
98. A. Verdross, « Règles générales du droit international de la paix », op. cit., p. 412.
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