Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 76

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L'abus de droit en droit international public

intention malveillante163. Dès lors qu'un acte peut revêtir un caractère abusif à
raison de son but, sans pour autant que le titulaire du droit n'ait été animé par
l'intention de nuire, il convient d'opter pour un critère plus large, qui permettrait
d'incorporer celui de l'intention de nuire. C'est notamment la solution proposée
par -Nicolas Politis, qui considérait que la théorie de l'abus de droit serait applicable « si l'usage apparemment légal d'une liberté a lieu pour des motifs blâmables, c'est-à-dire, dans un but autre que celui dans lequel le droit international
a conféré la liberté en question »164.
90.  Cherchant une alternative au critère de l'intention de nuire, certains
auteurs ont affirmé que le critère du « mobile légitime » serait plus adéquat, au
motif qu'il offrirait une vision plus objective de la notion. En effet, il ne requiert
plus d'établir l'existence d'une intention malveillante, et impliquerait seulement
de rechercher si l'exercice du droit est animé par une intention légitime, ce qui
conduit à rechercher si la prérogative juridique est bien exercée conformément à
sa destination165. Bien que ce critère n'échappe pas à la critique de certains auteurs
qui soutiennent que l'on en revient inévitablement à apprécier les mobiles qui
animent un sujet de droit166, il semble que la solution réside en effet dans le fait de
concevoir le critère intentionnel non pas sous l'angle subjectif, mais de manière
objective, en se fondant sur des données de fait. C'est d'ailleurs bien souvent de
cette manière que le juge procède : l'intention est établie en se fondant sur des
éléments objectifs et en observant le comportement des sujets de droit, sans forcément chercher à sonder leurs esprits167. La pratique des juridictions internationales témoigne du fait que, même si la recherche de l'abus se focalise parfois sur la
question de la mauvaise foi du titulaire du droit168, ce critère recouvre une dimension plus vaste et objective, en renvoyant au fait que le droit n'est pas exercé
conformément aux finalités qui lui sont assignées169. Ainsi, le critère intentionnel
ressurgit à travers celui de la destination des droits : s'il n'est pas nécessaire de
prouver qu'un État avait la volonté de nuire, il faut cependant tenir compte du but
dans lequel il agissait, afin de déterminer si ce but est bien conforme à celui en vue
duquel les prérogatives juridiques ont été établies.
91.  Pour autant, si de manière générale, la doctrine considère aujourd'hui
que le critère de l'intention de nuire n'est pas des plus adéquats en matière d'abus
de droit170, l'intention n'est pas totalement écartée et peut constituer un élément à
163. Voir infra Partie I, Titre II, Chapitre I, Section 2.
164. N. Politis, « Le problème des limitations (...) », op. cit., pp. 86-87.
165. Ce critère fut notamment défendu par Louis Josserand selon qui « l'acte sera normal ou
abusif selon qu'il s'expliquera ou non par un motif légitime qui constitue ainsi la véritable pierre
angulaire de toute la théorie » (L. Josserand, op. cit., p. 401).
166. Certains auteurs soulignent le fait que, bien qu'il paraisse innovant, en réalité le critère du
« mobile légitime » conduit inéluctablement à apprécier la conduite d'un sujet et par là même, les
mobiles qui l'animent : P.‑E. Moyse, « L'abus de droit : l'anténorme - Partie 1 », McGill Law Journal,
2012, pp. 861-920, p. 919 ; J. Lemee, Essai sur la théorie de l'abus de droit, Thèse de doctorat, Droit,
Université de Paris XII, 1977, 533 p., p. 81.
167. En ce sens, voir : P.-M. Dupuy, « Le fait générateur de la responsabilité internationale des
États », RCADI, 1984, vol. 188, pp. 9-133, pp. 34-35.
168. Voir par exemple : TIDM, Norstar (Panama c. Italie), Arrêt du 10 avril 2019, Rec. 2019
§ 243  ; CIRDI, Pac Rim Cayman c. Salvador, n° ARB/09/12, Décision sur la compétence, 1er juin 2012,
§ 2.100.
169. Sur les différentes conceptions de la notion de « bonne foi », voir infra §§ 242-244.
170. H. Ascensio, « Abuse of Process in International Investment Arbitration », Chinese Journal
of International Law, 2014, pp. 763-785, pp. 780-781.
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