Bibliothèque de droit des entreprises en difficulté - Tome 26 - L'ordre sociétaire - 359

LE CONCEPT D'ENTREPRISE, SOURCE DE SUBSTANTIALISATION DE L'ORDRE SOCIéTAIRE 343
un groupe de sociétés59
. Il est au contraire affirmé que « le prétendu groupe
« sujet de droit réel » n'a jamais vu le jour. Au contraire, la jurisprudence s'est
de plus en plus attachée à faire respecter le principe d'autonomie des personnes
morales »60
. Une telle hypothèse était pourtant le support idéal du mécanisme
correcteur de l'entreprise.
Ainsi le droit des sociétés, à l'inverse d'autres branches du droit, n'admet pas
l'entreprise comme un mécanisme correcteur. Dans un article consacré aux
groupes de sociétés, Didier Poracchia le rappelait nettement sur ce sujet : « le
droit des sociétés est encore un droit structurel lorsqu'il détermine les conditions
de la reconnaissance de la personnalité morale et organise ses modalités d'expression
sur la scène juridique »61
.
Senard62
C'est peut-être pour dénoncer cette indifférence que le Rapport Notat,
considérait que « l'entreprise est prisonnière du droit des sociétés »63
et
que « La société commerciale [..] ne permet pas une représentation fidèle de l'organisation
économique qu'est l'entreprise »64
. On retrouve cette idée de prise en
compte de la réalité là où le droit des sociétés ferait prévaloir des fictions. On
constate de plus en plus néanmoins une prise en compte de cette force correctrice
de l'entreprise en droit des sociétés. Ainsi, par exemple, du devoir de vigilance qui
a bien vocation à saisir une organisation de l'entreprise par-delà la structure
59. Voir notamment sur ce sujet P. Coulombel, Le particularisme de la condition juridique des
personnes morales de droit privé, Langres, 1950, spéc. p. 181 s. L'auteur y traite de « L'identité de
personnes morales existant simultanément et apparemment distinctes » (ibid., p. 181). Il relève que la
jurisprudence parfois identifie dans une réalité unique deux sujets de droit distincts sans pour autant
se fonder sur la théorie de l'apparence : « si du point de vue de la forme, il y a bien deux sujets de droit,
deux personnes morales, du point de vue du fond, il n'est pas possible de faire abstraction d'une unité
profonde. C'est cet intérêt unitaire qui identifie les deux personnes morales. Il n'est pas formellement
reconnu comme un sujet de droit, mais il est bien considéré, au fond, comme le véritable sujet de droit »
(ibid., p. 189). L'auteur cite un arrêt de la Cour de Paris du 23 juillet 1936 (Paris, 23 juill. 1936, S. 1937.
II.4) qui a reconnu que « derrière deux personnes juridiques apparentes il y avait une entière
communauté d'intérêts, formant un tout indivisible ».
Cet auteur est néanmoins critique ; il considère qu'il faudrait adjoindre le critère de la maîtrise
d'une société sur l'autre. Ce critère de la maîtrise est plus fort que ce que nous appellerions le contrôle
et se rapproche en réalité de la fictivité de la personne morale maitrisée. Ainsi « on ne peut dire qu'elles
expriment vraiment un même intérêt que si la maîtrise de l'une sur les décisions de l'autre lui permet
effectivement d'imposer son intérêt à l'autre comme but exclusif d'activité. [...] Il apparaitrait alors
normal de dire que l'une des sociétés n'a pas de personnalité, qu'elle est une succursale, une agence de
l'autre, une société fictive » (ibid., p. 195). Cf. supra n° 68.
60. C. Hannoun, « La réalité juridique de l'entreprise. Réflexions sur la perception par le droit
de la réalité matérielle de l'entreprise », art. précit., p. 188. La thèse de doctorat de l'auteur défendait
une conception plus nuancée, celui-ci retenant « une nouvelle méthode mise en œuvre en jurisprudence
et qui conduit le juge à qualifier l'ensemble économique au regard des normes qui ont vocation
substantiellement à s'appliquer puis à choisir, selon le cas, entre l'affirmation de l'indépendance des
sociétés et l'application de la règle rendue applicable par la situation de fait sous-jacente. L'autonomie
des sociétés n'est admise que dans la mesure du but assigné à la règle qui l'exprime », (C. Hannoun,
Le droit et les groupes de sociétés, LGDJ, 1991).
61. D. Poracchia, « Les groupes de société », in I. Urbain-Parléani et P.-H. Conac (dir.),
Regards sur l'évolution du droit des sociétés depuis la Loi du 24 juillet 1966, Dalloz, 2018, p. 253,
spéc. p. 253.
62. Ayant servi de support, quoiqu'édulcoré, à la loi PACTE sur son pan dévolu au droit des
sociétés. Sur la différence entre l'objectif affiché et la loi promulguée, v. P. Delvolvé, « La loi PACTE
et l'entreprise », RFDA 2019, p. 589.
63. N. Notat et J.-D. Sénard, L'entreprise, objet d'intérêt collectif, Rapport aux ministres de la
Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l'économie et des finances et du Travail, 2018,
p. 23.
64. ibid., p. 25.
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