Précis Domat - Philosophie du droit - 2e - 334

PHILOSOPHIE DU DROIT
Deuxièmement, l'énoncé performatif, bien qu'il ne soit pas nul, peut être « malheureux
» d'une autre façon, c'est-à-dire si on le formule sans sincérité. Si je dis,
« je promets de... », sans avoir la moindre intention d'accomplir cette action promise,
peut-être même sans penser qu'il soit en mon pouvoir de l'accomplir, la promesse
est creuse. Elle est faite, bien sûr : cependant, il y a un « malheur » (unhappiness),
on a abusé de la formule.
Supposons maintenant que notre acte ait été effectué : tout s'est passé normalement,
et aussi, si vous le voulez, sincèrement. Dans ce cas, l'énoncé performatif a
l'habitude de « prendre effet ». Par cela, nous ne voulons pas dire que tel ou tel
événement futur est ou sera produit comme effet de cet acte comme cause. Nous
voulons plutôt dire que par suite de l'accomplissement de cet acte, tel ou tel événement
futur, s'il arrive, sera en règle et que tel ou tel autre événement, s'il arrive,
ne sera pas en règle. Si j'ai dit, « je le promets », je ne serai pas en règle si je
manque à ma parole ; si j'ai dit, « je vous souhaite la bienvenue », je ne serai pas
en règle si je me mets à vous traiter en ennemi ou en intrus. C'est ainsi que nous
disons que, même quand le performatif a pris effet, il existe toujours une troisième
espèce de malheur, que nous nommons « rupture d'engagement » (breach of commitment).
On peut remarquer d'ailleurs, que les engagements peuvent être plus ou
moins vagues et qu'ils peuvent nous lier à des degrés assez différents.
Voilà donc trois espèces de malheurs qu'on associe à l'énoncé performatif. On
peut faire de ces malheurs toute une classification, seulement il faut avouer, ce qui
va presque sans dire, qu'ils peuvent souvent s'entremêler et même se confondre.
Puis il faut ajouter que notre performatif est à la fois action et énoncé : donc, pauvre
petit, il doit être susceptible d'être en dessous du standard de toutes les manières
d'être de l'action en général et aussi de l'énoncé en général. Par exemple, le performatif
peut être publié sous contrainte ou par accident ; il peut souffrir de manque
de syntaxe ou de malentendu ; il peut paraître dans un contexte peu « sérieux »,
dans une pièce de théâtre, peut-être, ou dans un poème. Tout cela nous le laissons
de côté - souvenons-nous seulement des malheurs plutôt spécifiques du performatif,
c'est-à-dire de la nullité, de l'abus (manque de sincérité) et de la rupture d'engagement.
7.
La folie efface-t-elle le crime ?
Foucault, Surveiller et punir
Depuis cent cinquante ou deux cents ans que l'Europe a mis en place ses nouveaux
systèmes de pénalité, les juges, peu à peu, mais par un processus qui remonte
fort loin, se sont donc mis à juger autre chose que les crimes : l'« âme » des criminels.
Et
ils se sont mis, par là même, à faire autre chose que juger. Ou, pour être plus
précis, à l'intérieur même de la modalité judiciaire du jugement, d'autres types
d'estimation sont venus se glisser modifiant pour l'essentiel ses règles d'élaboration.
Depuis que le Moyen Âge avait construit, non sans difficulté et lenteur, la
grande procédure de l'enquête, juger, c'était établir la vérité d'un crime, c'était
déterminer son auteur, c'était lui appliquer une sanction légale. Connaissance de
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