Précis Domat - Philosophie du droit - 2e - 364

PHILOSOPHIE DU DROIT
comme l'avait anticipé Tocqueville, d'autant que beaucoup d'individus manifestent
une grande indifférence à l'égard du reste du monde. Ainsi, les concepts de récompense
au mérite et d'égalité des chances masquent souvent un fort individualisme et
même un mépris à l'égard de ceux qui ne réussissent pas. Le concept de réussite a
plus une connotation économique que personnelle et il peut remettre en cause
l'égale dignité de tout travail. Comme l'écrivait la philosophe Simone Weil
(1909-1943), dans L'Enracinement en 1943, « un système social est profondément
malade quand un paysan travaille la terre avec la pensée que, s'il est paysan, c'est
parce qu'il n'était pas assez intelligent pour devenir instituteur ».
Pourtant, la société est capable de grands élans de générosité lorsque, par exemple,
sont qualifiés de héros du quotidien ceux qui tentent de sauver des vies humaines
ou, de manière plus générale, ceux qui prennent soin des autres. L'idée de fraternité,
qui a retrouvé une dimension juridique concrète à la suite de récentes
décisions de justice, rappelle heureusement que la société n'est pas que violence
et conflits. D'ailleurs, peut-être serait-il temps d'en revenir à une vision du droit
fondée sur la notion d'équilibre, qui est sans doute plus à même de laisser apparaître
ce qui relève du bien commun de la société.
§3. NUMÉRISATION
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Données. - Les données sont destinées à améliorer les transports,
l'habitat, les livraisons ou la sécurité, à ajuster les traitements médicaux et
les entraînements sportifs ou à concevoir des régimes alimentaires, tout en planifiant
nos agendas et en gérant nos contacts. Pour y parvenir, des systèmes électroniques
captent nos trajets, nos goûts, nos opinions, nos consommations, notre
santé, et jusqu'à notre sommeil, en nous laissant croire que nous sommes les maîtres
de cette virtualisation du monde - accentuée par les confinements répétés - et
que nous donnons volontairement lesdites données, alors que nous pourrions peutêtre
les monnayer. Il est donc logique que la protection des données soit devenue
un enjeu majeur de société, même si, avec le développement de la smart city,l'espace
urbain tend à être mis sous surveillance, jusqu'à bâtir une société de vigilance
fondée sur la méfiance, pour lutter en particulier contre toute forme de radicalisation.
De surcroît, nous ajoutons nous-mêmes des données nous concernant, dévoilant
ainsi une part substantielle de notre vie sur des réseaux sociaux : nous acceptons
ainsi de nous enchaîner volontairement à des chaînes que nous apportons au
bourreau pour avoir le sentiment de posséder un moi numérique par avidité de
reconnaissance et pour obtenir la validation d'autrui. Le concept de vie privée et
de respect de l'intimité se trouve dès lors totalement balayé, alors que son introduction
dans le Code civil pour en assurer la protection est encore récente. Mais tout ce
qui relève du secret est désormais suspect par essence, car il sous-entend que nous
souhaitons cacher quelque chose. À l'heure de l'information en continu et des
réseaux sociaux, c'est au contraire la transparence qui devient le maître-mot : il
faut tout dire, tout dévoiler au risque d'être accusé de vouloir camoufler la vérité,
d'être un dangereux conspirationniste, voire un potentiel terroriste. Il est d'ailleurs
d'une extrême complexité de vouloir faire disparaître des informations qui se
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