Bibliothèque de droit public - Tome 319 - Le service public de l'éducation nationale sous la troisième République - 138

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LE SERVICE PUBLIC DE L'ÉDUCATION NATIONALE SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

morale et civique : « [l]'enfant qui apprend à l'école les exercices militaires au
moyen desquels il abrégera son apprentissage de soldat, doit y apprendre aussi les
faits et les notions qui lui faciliteront le bon usage de ses droits de citoyen »113.
Tout cela est enseigné pour persuader qu'il est possible de bien voter114. Le citoyen
n'est pas seulement celui qui a le droit de voter, ainsi que d'être élu ; est citoyen
celui qui a le devoir de bien exercer son pouvoir de choisir, et/ou faire la loi, au
nom de la nation. Lorsque le citoyen dépose son bulletin dans l'urne, il doit savoir
se départir de ses intérêts particuliers pour choisir les gouvernants les plus
capables d'exercer le pouvoir dans l'intérêt de tous. C'est une condition, selon les
républicains, pour assurer le fonctionnement de la démocratie, laquelle postule la
souveraineté de la nation. Or, la souveraineté de la nation sera effective si le pouvoir n'est pas exercé dans l'intérêt de quelques-uns, mais de tous.
2.	 Qu'est-ce que le bon vote ?
235.  Selon les républicains, il ne suffit pas d'avoir le droit de vote ; il faut
savoir l'exercer et pourquoi on l'exerce. Le vote n'est pas juridiquement obligatoire, mais moralement obligatoire. C'est un devoir civique. En principe, le citoyen
peut ne pas exercer son droit de vote115, mais il est moralement obligé de le faire116.
236.  Ne pas exercer son droit de vote est un acte irresponsable dans l'esprit
des républicains. Cette responsabilité est donc enseignée. Elle l'était déjà en 1848,
ainsi qu'on peut le lire dans Le Manuel de l'instituteur pour les élections :
« [s]'abstenir de porter son vote, ce serait quelque chose de comparable au suicide,
si sévèrement condamné par la religion et par la morale ; ce serait tuer le citoyen
en soi, et se faire comme étranger dans la République »117. Lors de la séance du
mardi 21  décembre 1880 à la Chambre des députés, Hyppolyte Maze explique
ainsi ce qu'il faut entendre par « enseignement civique » ; il s'agit notamment de
révéler aux élèves « toute la gravité de cet acte accompli parfois si légèrement
qu'on appelle le vote, toute l'importance de ce simple bulletin de vote qu'ils iront
un jour déposer dans l'urne électorale et d'où peuvent dépendre les destinées de la
patrie ; nous croyons utile de leur dire ce qu'est exactement le chef de l'État et ce
montrer la continuité, dans la pensée libérale, de cette conception qui subordonne la liberté à la raison.
Qu'il nous suffise d'en évoquer l'influence lorsque, avec la IIIe République, elle ne fut plus seulement
une conviction de théoriciens mais une doctrine officielle » : BURDEAU (G.), Le libéralisme, Paris,
Seuil, 1979, p. 114.
113. STEEG (J.), Instruction morale et civique. L'homme - Le citoyen. À l'usage de l'enseignement
primaire, Paris, N. Fauvé et N. Nathan, 1882, p. 6.
114. La critique de Tocqueville est à cet égard saisissante : « [i]l est, en effet, difficile de concevoir
comment des hommes, qui ont entièrement renoncé à l'habitude de se diriger eux-mêmes, pourraient
réussir à bien choisir ceux qui doivent les conduire ; et l'on ne fera point croire qu'un gouvernement
libéral, énergique et sage, puisse jamais sortir des suffrages d'un peuple de serviteurs  ». TOCQUEVILLE
(A. de), De la Démocratie en Amérique, Paris, Pagnerre, 13e éd., 1850, t. 2, Chapitre 6 : Quelle espèce
de despotisme les nations démocratiques ont à craindre, p. 361.
115. « L'effectivité de la loi qui consacre une liberté d'agir se situe non dans l'action, mais dans
la liberté même, c'est-à-dire dans le pouvoir de choisir l'inaction aussi bien que l'action ».
CARBONNIER (J.), Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 2001, p. 139.
116. Arrêté du 27 juillet 1882 réglant l'organisation pédagogique et le plan d'études des écoles
primaires publiques, signé du ministre de l'Instruction publique Jules Ferry, cité in Lois et programmes
de l'enseignement primaire et maternel, Paris, Paul Dupont, 1883, p.  151. Le programme dit
explicitement que le « vote est moralement obligatoire ».
117. MARTIN (H.), Manuel de l'instituteur pour les élections, publié sous les auspices du Ministre
provisoire de l'instruction publique et des cultes, Paris, Pagnerre, 1848, p. 26.

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