Bibliothèque de droit public - Tome 319 - Le service public de l'éducation nationale sous la troisième République - 292

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LE SERVICE PUBLIC DE L'ÉDUCATION NATIONALE SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

morale commune est laïque, c'est-à-dire indépendante de la religion94, mais n'est
aucunement neutre95. Selon les républicains, c'est la « morale du devoir »96.
Absents de la loi du 28  mars 1882, les devoirs envers Dieu furent sauvegardés
dans les programmes scolaires jusqu'en 1923, mais « [o]n considère généralement,
que dès le début du xxe siècle, la majorité des instituteurs ne les mentionnent plus.
La lecture de certains cahiers d'écoliers conduit à se demander si, dès le départ,
leur succès n'a pas été limité. [..] Enfin, Dieu n'étant pas considéré, en France,
comme l'auteur des droits de l'homme, invoquer des devoirs envers lui présente
un aspect unilatéral qui s'écarte de la logique de réciprocité au cœur de la morale
républicaine »97.
483.  L'éducation morale consiste encore à inculquer des valeurs, à l'instar du
travail. La circulaire adressée par le ministre de l'Instruction publique Albert Sarraut aux recteurs le 26 septembre 1915 l'illustre : « [a]vec la même sincérité que,
m'adressant à la veille des vacances aux élèves du lycée Louis-le-Grand, je disais
à la jeunesse française : « Reposez-vous », je lui dis maintenant : « Au travail !
C'est ce qu'exigent vos pères vos frères qui combattent dans les tranchées ; etc. [...]
Toutes les vérités dont le pays a besoin dans le grand conflit où il est engagé, c'est
l'école, qui par son enseignement, contribuera à les lui distribuer » »98. L'école
n'est pas seulement un lieu où des habitudes sont inculquées, mais également des
vérités. Là, il s'agit de valoriser le travail. Le gouvernement de soi est d'autant
plus susceptible d'être obtenu que l'action de l'État est continue. L'éducation
nationale mobilise le temps, comble le quotidien, conditionne même les vacances.
L'administré est occupé en fonction de l'école. La mission de l'administration est
continue ; elle est à même de produire de l'habitude99.
484.  Si les comportements encouragés ne sont pas exhaustifs, ils n'en sont
pas moins révélateurs de la normalisation des conduites à l'école. L'apprentissage
de la politesse à l'école, qui « doit être, entre autres choses, une école de politesse,
parce qu'elle est avant tout une école de civilisation » est exemplaire. Selon Félix
Pécaut, la politesse doit être formée du « dedans » et non du « dehors », ce qui
signifie qu'elle ne doit pas seulement être apparente, mais profonde et intériorisée.
Elle est chez l'enfant une « distinction de l'âme »100. L'école est une institution de
normalisation des conduites, renforcée avec l'instruction morale obligatoire, parce
qu'elle est un lieu de socialisation au sein duquel les enfants font l'apprentissage
d'un ensemble de règles qui conditionnent leurs comportements. Le pouvoir fixe
dans le droit ce qu'il attend dans les faits.
94. « il est vraiment difficile de soutenir aujourd'hui, et j'oserai presque dire qu'il n'est soutenu
par personne, en dehors des représentants officiels des diverses religions, que la morale soit si
intimement liée à la religion, que, la religion disparaissant, la morale doive disparaître à son tour » :
Paul Bert, Ch. dép., séance du 4 décembre 1888 : J.O., 5 décembre 1888, p. 11947.
95. « Nous voulons avoir des écoles qui ne soient ni religieuses ni antireligieuses, mais dans
lesquelles le bien, le juste, le vrai seront enseignés » : Ribière, Sénat, séance du 4 juin 1881 : J.O., 5 juin
1881, p. 775. Qu'est ce qui est bien ? Qu'est-ce qui est juste ? Qu'est-ce qui est vrai ?
96. V. « Morale », in BUISSON (F.), op. cit., t. 2, partie 1, p. 1969.
97. BAUBEROT (J.), « Moraliser », in DUCLERT (V.), PROCHASSON (C.), dir., Dictionnaire
critique de la République, Paris, Flammarion, 2007, p. 1082.
98. Citée in Journal des instituteurs, 26 septembre 1915, p. 4.
99. La régularité est un élément de la moralité, qui a besoin d'habitudes pour être assurée.
V. DURKHEIM (E.), L'éducation morale, Paris, 1925, rééd. 2012, PUF, coll. Quadrige, 2012, p. 47.
100. V. « Politesse » in BUISSON (F.), Dictionnaire de pédagogie..., op. cit., 1888, t. 2, partie 1,
p. 2398.

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