Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 104

HUMAIN NON-HUMAIN

s'étend désormais à la prise en compte de son « identité psychique », de son
« sexe psychique », de sa « souffrance psychique » ou de son « développement
personnel », de ses « préjudices psychiques » ou encore de sa « parentalité psychique ». Certes, le droit n'a jamais ignoré le fait psychique. Mais aux traditionnels faits psychiques, que nous qualifions de « première génération (liés à la volonté, l'intention, la rationalité du sujet, ...) succèdent désormais des faits psychiques de «seconde génération » liés à une réalité psychique « élargie », ouverte
sur de nouveaux aspects du sujet. Le paradigme juridique du sujet souverain,
rationnel, transparent à lui-même, semble laisser la place à celui d'un sujet vulnérable, ouvert au doute et à l'opacité de son être. La volonté n'est pas absente
de ces faits psychiques de la deuxième génération, mais elle porte sur de nouveaux objets (le corps, la filiation...) et apparaît à certains égards, comme de plus
en plus « intérieure » ou « immatérielle 55 ». 2) Autre évolution : ces phénomènes
psychiques se présentent tout à la fois comme conditions d'effets normatifs mais
aussi, et cela de plus en plus, comme comportements normés. Ce sont certains
comportements internes (états psychiques, intention...), à côté des comportements physiques traditionnels, qui font l'objet de prescriptions. La vie psychique semble donc elle aussi se voir désormais prise de plus en plus en considération par le droit, comme l'objet de permission, d'interdiction et d'obligations
normatives. Par exemple, a pu être identifié un ensemble de « droits fondamentaux psychiques » (de première et de seconde génération) visant à protéger spécifiquement la vie psychique des personnes : protéger contre la souffrance psychique et permettre le développement du bien-être et de l'identité psychique des
individus. Un « droit au respect de la vie psychique » semble ainsi succéder au
traditionnel « droit au respect de la vie privée ».
D'une manière générale, cette évolution semble témoigner de la réception
dans le droit contemporain de nouveaux aspects de la personne telle que la psychanalyse a contribué à nous les révéler. Le sujet n'est plus transparent à luimême, la réalité psychique ne se réduit plus à sa conscience.
Par ailleurs, l'analyse des normes individuelles visant un fait psychique a permis de révéler les problèmes que soulève l'identification concrète d'un type de
faits non directement observables, sur le plan de sa saisie concrète par le juge ou
l'administration. Comment saisir un phénomène impalpable, invisible, et
fuyant ?
Cette question - fondamentale pour la théorie du droit - permet de mettre en
lumière tous les nouveaux procédés techniques, et derrière, toutes les options
politiques dont le droit se dote pour saisir cette intériorité. Il en ressortira, une
conception de l'intériorité différente. Dans cette culture de l'intériorité en transformation 56, le sujet psychique semble se transformer en un sujet cognitif 57.
55. Du fait, notamment, de la prise en compte grandissante des mobiles dans certaines infractions
pénales.
56. Mise en avant par Pierre-Henri CASTEL, voir Pierre-Henri CASTEL, La fin des coupables, suivi
du cas Paramord, op. cit.
57. Voir en ce sens : Géraldine AÏDAN, Michel CHAUVIÈRE, Paul VÉRON, Roxanna DEFILLIPÉ,
« L'autisme, comme paradigme d'une transformation de l'intériorité en droit : vers un sujet

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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