Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 109

PSYCHE, ANIMAUX, NATURE

Un psychéisme juridique

Ce sont en effet des critères relevant d'abord de l'existence ou du registre
d'une vie psychique − la sensibilité et la capacité de souffrance − qui sont mobilisés désormais en droit. C'est ce que j'appelle le psychéisme juridique, c'est-àdire l'attribution à des êtres non-humains des qualités psychiques proches de
l'humain et justifiant leur intégration dans la catégorie de sujet de droit.
La capacité de certaines entités à être dotée d'une propriété psychique (et non
plus d'une âme) peut être un critère mis en avant pour la reconnaissance de la
personnalité juridique de l'entité non-humaine, dans la doctrine et dans le droit
positif. Cela concerne les animaux, les plantes mais aussi les fleuves.
Par exemple, on appréhende la personnalité juridique de l'animal parce qu'il
dispose d'une forme de vie psychique, d'une sensibilité 74 et d'une capacité à
souffrir 75. C'est le critère mobilisé par René Demogue en droit français, justifiant alors selon lui l'octroi de la personnalité juridique aux animaux (mais aussi
aux morts, aux générations futures et aux embryons) 76. Le sujet de droit doit être
appréhendé à partir de sa capacité à souffrir et de sa sensibilité. Ainsi peut-on lire
que « le droit apparaît comme une chose infiniment belle, comme étant en
quelque sorte la communion, le terrain de rapprochement (aussi de lutte hélas)
de ceux qui peuvent souffrir 77 » et « il faut donc dire, pour être exact, qu'il y a
deux catégories de sujets de droit : les sujets de jouissance, proprement dit, qui
peuvent s'étendre au-delà de l'humanité, à tout être capable de souffrir, et les
sujets de disposition jouissance, lesquels se limitent à l'humanité raisonnable ou
présumée telle 78 ». De même, « étant donné que le but du droit est la satisfaction, le plaisir, tout être vivant qui a des facultés émotionnelles, et lui seul, est
apte à être sujet de droit, que la raison lui manque de façon définitive ou temporaire..., l'animal même peut l'être... ayant comme nous des réactions psychiques
douloureuses ou agréables ».
Il construit pour cela le concept de personnalité technique qui traduit selon
lui l'intérêt juridique que le droit entend protéger (le droit subjectif est un intérêt
juridiquement protégé selon la doctrine traditionnelle). Ainsi, « la qualité de su-

74. La sensibilité peut être définie comme « La condition d'un être sensible est par essence celle
d'un être qui reconnaît que c'est dans son existence, et non pas dans celle d'un autre, qu'il fait
l'épreuve de la douleur ou de l'angoisse », Gary FRANCIONE, Prendre la sensibilité au sérieux,
dans Hicham-Stéphane AFEISSA et Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, Philosophie animale,
différence, responsabilité et communauté, Vrin, Paris, 2010, p. 185-221, p. 209.
75. Pour analyse complète sur cette approche en philosophie, voir l'œuvre de Florence BURGAT et
notamment, Florence BURGAT, Une autre existence. La condition animale, Albin Michel, Paris,
coll. « Bibliothèque Idées », 2012.
76. Pour une analyse d'ampleur sur cette proposition, voir Dimitrios TSARAPATSANIS, Les
fondements éthiques des discours juridiques sur le statut de la vie humaine anténatale, PU Paris
Ouest, Paris, 2011.
77. René DEMOGUE, « La notion de sujet de droit : caractères et conséquences », dans RTD Civ,
1909, en ligne, p. 10.
78. Ibid., p. 11.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

http://www.vrin.fr/search.php?author=Hicham-St%C3%A9phane+Afeissa http://www.vrin.fr/search.php?author=Jean-Baptiste+Jeang%C3%A8ne+Vilmer https://www.decitre.fr/auteur/1534992/Dimitrios+Tsarapatsanis

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