Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 112

HUMAIN NON-HUMAIN

selon certains de distinguer au sein même des animaux, ceux qui ont une sensibilité qu'on appelle la nociception inconsciente et qui n'ont apparemment pas de
conscience et ceux qui ont une forme de conscience qui leur permet de transformer la nociception en douleur, en souffrance, en bien être 94.
L'on peut remarquer avec Jean Pierre Marguénaud que la protection des
droits des animaux est adossée souvent à celle du droit de l'environnement 95,
dans un contexte de crise écologique qui recouvre aussi « une crise de la sensibilité » selon la philosophe Estelle Zhong 96.
L'argument de la « sensibilité » est en effet souvent mobilisé dans la doctrine
et le droit positif pour octroyer la personnalité juridique à d'autres éléments de
la nature tels que les arbres ou les fleuves 97. Si l'on a pu relever la persistance
de vestiges animistes qui réapparaissent dans certaines décisions des Cours avec
l'attribution de la qualité de sujet de droit aux éléments de la nature, par une
conciliation entre la culture des peuplades autochtones et le droit moderne 98, l'on
peut noter aussi le recours à certains arguments qui relèvent du registre d'une
intériorité psychique dont serait dotée l'entité non-humaine naturelle en question.
C'est ainsi que dans deux décisions de la High court of Uttarakhand at Nainital du 30 mars 2017, les arguments de la protection de « la santé et [du] bien
être » des rivières du Gange et du Yumuna sont mobilisés pour justifier leur octroi d'une personnalité juridique, qui sera exercée par l'intermédiaire des personnes physiques (qui agiront en loco parentis : ils seront « le visage humain
destiné à protéger les rivières et leurs affluents »). C'est aussi cet argument de la
« santé et du bien-être de la rivière Whanganui intrinsèquement liés à la santé et
au Bien-être du peuple » qui est utilisé par le parlement pour justifier l'entrée du
fleuve de Nouvelle Zélande dans la catégorie de sujet de droit 99. C'est enfin, et
également les « santé et bien-être » des glaciers Gantori et Yamunmonotri qu'il
s'agit de protéger en leur conférant une personnalité juridique 100 ».
Ainsi, ces nouveaux sujets de droit « naturels » intègrent la catégorie des sujets de droit non-humains à partir notamment de critères de nature psychique -

94. Voir notamment la position de Pascal PICQ au colloque « droit et personnalité juridique »,
Fondation Droit, animal, Ethique et sciences, 2019, non publié, en ligne, in
.
95. Voir Jean-Pierre MARGUÉNAUD, « Le droit animalier, de l'anecdotique au fondamental », op.
cit.
96. Voir Estelle ZHONG MENGUAL, « La Nature qui vient », Critique d'art [En ligne],
48 | Printemps/été 2017, mis en ligne le 15 mai 2018, consulté le 7 octobre 2019.
97. Il convient aussi de noter qu'en 2008, la Constitution de l'Équateur faisait expressément de la
nature un sujet de droit.
98. Un animisme comme le décrit Marie-Angèle HERMITE à « consonance indigéniste », MarieAngèle HERMITTE, « Artificialisation de la nature et droit du vivant », op. cit., p. 263 et s. Voir
aussi sur ce point, Pierre BRUNET, « Les droits de la nature et la personnalité juridique des
entités naturelles en Nouvelle-Zélande : un commun qui s'ignore ? », op. cit., p. 41 et s.
99. Loi Te Awa Tupua, adoptée le 14 mars 2017 par le Parlement de la Nouvelle-Zélande.
100. Décisions de la High court of Uttarakhand at Nainital du 30 mars 2017 précitées.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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