Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 116

HUMAIN NON-HUMAIN

La littérature des défenseurs des droits des animaux est forte de ce nouvel
argumentaire 123, ce que regrettent d'ailleurs certains philosophes 124. Cette promotion nouvelle d'une intériorité cognitive comme stratégie argumentative se
retrouve aussi concernant les défenseurs des droits des arbres. À côté de la valorisation de l'idée d'une sensibilité comme nous l'avons vu, se retrouve tout un
vocabulaire relevant du registre de la cognition : capacité de mémorisation des
plantes, neurobiologie végétale, synapses végétales... Ces concepts qui filent la
métaphore scientifique cognitiviste, au-delà du caractère contestable de leur validité scientifique, témoignent de cette tendance d'une part à penser les entités à
partir de leur intériorité, même supposée, d'autre part à envisager celle-ci sous le
prisme de la cognition.
Ce sont également les « capacités cognitives » de nouvelles générations
d'« agents cognitifs 125 », les « robots cognitifs 126 », issues d'une branche de
l'intelligence artificielle (machine learning) et de la robotique cognitive, à qui
l'on reconnaît une forme d'autonomie décisionnelle, de raisonnement, d'autonomie opérationnelle, de capacité d'apprentissage et d'auto-apprentissage de ses
expériences, de mémorisation, d'élaboration d'un langage autonome 127, et audelà de la nature métaphorique de ces mots, ce sont de nouvelles compétences
qui s'élaborent, qui favorisent aujourd'hui un rapprochement avec l'humain 128 -
et dont les caractéristiques peuvent être mobilisées pour leur attribuer la personnalité juridique.
Limité pour le moment à la littérature philosophique et juridique, le recours
à ce nouveau registre « intérieur » d'attribution de la personnalité juridique est
ici très significatif. H. Putman fut l'un des premiers théoriciens à poser 129 l'existence possible d'une conscience artificielle justifiant l'octroi de la personnalité
123. Voir pour l'approche philosophique : Florence BURGAT, « La personne, une catégorie juridique
souple propre à accueillir les animaux », dans Archives de philosophie du droit, Dalloz, vol. 59,
2017, p. 39-55.
124. Voir Gary FRANCIONE, « Prendre la sensibilité au sérieux », op. cit. ; voir aussi Florence
BURGAT, « La personne, une catégorie juridique souple propre à accueillir les animaux »., op.
cit., p. 40 et s. l'auteur s'interroge : « Dans nos sociétés très attachées à la « preuve
scientifique », des études d'éthologie cognitive, de psychologie animale ou encore de biologie
du comportement sont venues prêter main-forte à l'entreprise (philosophique) de fondation des
droits des animaux. ». Ainsi, La valeur morale de telles vies, qui peut être jugée inhérente à leur
ontologie ou simplement postulée (ceci est un autre problème), ne nous semble en tout cas pas
dépendre d'abord des performances cognitives dont les individus seraient capables »
125. Thérèse COLLINS, Daniel ANDLER et Catherine TALLON-BAUDRY (dir), La cognition. Du
neurone à la société, op. cit., p. 618 et s.
126. Voir Alexandra BENSAMOUN, Les robots, objets scientifiques, objets de droit, Mare et Marin,
Paris, 2016.
127. Thérèse COLLINS, Daniel ANDLER et Catherine TALLON-BAUDRY (dir), La cognition. Du
neurone à la société, op. cit., p. 630.
128. Rappelons rapidement le test que Alan TURING avait réalisé pour distinguer le robot de
l'humain. Voir Daniel ANDLER : « Turing : pensée du calcul et calcul de la pensée », dans
Frédéric NEF et Denis VERNANT (dir), Le formalisme en question. Le tournant ds années 1930.
Vrin, Paris, 1998, p. 1-41 (disponible en ligne).
129. Par convention, dans la mesure où il établit l'hypothèse que l'on ne peut pas plus accéder aux
états mentaux des robots qu'à ceux humains, sur le modèle wittgensteinien.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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