Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 122

HUMAIN NON-HUMAIN

juridiques ne commandent que le comportement humain ; et s'ils commandent
seulement le comportement humain, c'est parce que l'on admet que c'est seulement chez l'homme que la représentation de leurs normes a pour effet des actes
de volonté qui provoquent à leur tour la conduite prescrite 158 ». Il précise un peu
plus loin, cette idée de représentation au sujet cette fois-ci « des enfants et des
malades mentaux ». L'on admet ainsi que, « de par l'état caractéristique de leur
conscience, les enfants et les malades mentaux ne peuvent pas être, soit du tout,
soit de façon suffisante, déterminés à la conduite prescrite par la représentation
des normes juridiques, que d'autres motifs sont en règle générale plus forts dans
leur conscience que ces représentations, d'autant que plus ces êtres n'ont le plus
souvent absolument pas conscience de l'existence des normes juridiques 159 ».
Ainsi, lorsque Kelsen énonce que « les normes de l'ordre juridique règlent la
conduite d'êtres humains, les ordres juridiques modernes eux, ne règlent la conduite que des seuls êtres humains, et non la conduite d'animaux, de plantes, ou
d'objets inanimés 160 », il l'énonce dans un contexte scientifique qui est celui de
son époque, et dans une vision anthropologique de culture judéo-chrétienne qui
confère à tous les êtres humains mais aux seuls être humain la personnalité juridique. Or, c'est moins l'humain en tant que tel, que l'être, l'entité capable de
représentation de cognition, capable d'être agent d'une norme qui semble visé
ici 161. Ce qui pourrait alors inclure certaines entités non-humaines et exclure
aussi certains humains. Ainsi, lorsque Kelsen explique que seuls les êtres humains disposent d'une âme justifiant l'exclusivité de leur statut de destinataire
de norme juridique, il devrait s'agir en réalité, c'est-à-dire dans la réalité naturelle, des seuls êtres doués des capacités cognitives nécessaires à la représentation et à la compréhension d'un commandement normatif 162.
En effet, une norme fait appel aux capacités de représentation de celui à qui
elle s'adresse, elle se situe d'abord sur la scène interne du sujet, elle doit pouvoir
infléchir son comportement interne, c'est-à-dire qu'une personne doit pouvoir
être influencée par la signification d'un énoncé normatif. Les normes juridiques
visent d'une manière générale à « aboutir à un état de choses différent de celui
qui résulterait du fait que chacun suivrait ses inclinations ou chercherait à réaliser
ses intérêts égoïstes 163 », et ces comportements peuvent être internes 164 car les

158.
159.
160.
161.

Hans KELSEN, Théorie Pure du droit, op. cit., p. 104.
Ibid., p. 104 et 105.
Ibid., p. 40-41.
Pour une analyse critique très claire de la présentation de Hans KELSEN, voir Dimitrios
TSARAPATSANIS, « Le sujet de droit dans la théorie pure du droit de Hans KELSEN :
éclaircissements conceptuels », non publié, en ligne, .
162. Dimitrios TSARAPATSANIS montre aussi en ce sens que la qualité d'agent ne dépend pas de la
notion moderne de norme mais de qualités intrinsèques à l'agent.
163. Hans KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit., p. 67. Nous soulignons.
164. Voir Giorgio DEL VECCHIO, Philosophie du droit, Dalloz, Paris, 2004 (1ère édition : 1936),
p. 259 et Hans KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit., p. 67.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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