Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 132

HUMAIN NON-HUMAIN

silhouettes et patterns visuels et reconnaître leur orientation spatiale, leur géométrie, leur taille, leur fréquence spatiale et bien d'autres paramètres qu'elles sont
capables d'extraire du monde visuel qui les entoure.
Leur vision est néanmoins floue car chaque image se compose à partir de ce
que voit un œil simple ou ommatidie, sachant qu'il y a autour de 5000 ommatidies dans l'œil composé d'une butineuse ; l'image est reconstruite est unique et
chaque ommatidie voit une portion de son entourage, mais le grain de cette image
est pauvre par rapport au nôtre. Par contre, le système visuel des abeilles réagit
beaucoup plus vite aux changements que le nôtre, ce qui est caractéristique d'un
insecte qui se déplace en volant et doit réagir à des modifications extrêmement
rapides de son environnement.
Les études sur des abeilles en libre vol ne permettent pas d'accéder aux mécanismes nerveux de ces performances car on n'a pas encore les moyens d'enregistrer l'activité cérébrale d'un insecte qui vole. Or, du fait que l'animal est libre
de déployer toutes les ressources dont il dispose pour résoudre un problème, ces
études ont produit une véritable révolution dans le domaine de la cognition animale car elles ont dévoilé chez les abeilles des capacités cognitives insoupçonnées qui jusqu'à peu de temps étaient considérées comme une prérogative de
l'homme et de quelques primates.
Parmi les nombreuses performances cognitives dont les abeilles en libre vol
sont capables il suffira de citer, en tant qu'exemple, l'apprentissage de concepts
qui est une forme d'apprentissage qui chez l'homme se développe au cours de
l'enfance. Dans ce type d'apprentissage, nous apprenons à résoudre des problèmes en fonction de règles de relation et non pas en fonction d'objets spécifiques. Ainsi nous pouvons apprendre des règles (des concepts) du type « plus
grand que », « plus petit que », « à gauche de », « à droite de », règles qui peuvent être sous-tendues par des objets très différents et variables. Dans ce type
d'apprentissage complexe, ce qui compte n'est pas la nature physique des objets
mais la relation qui les lie. C'est cette relation qu'il faut apprendre à abstraire
d'une série d'exemples tous différents, faisant preuve par là d'une capacité d'abstraction.
Les abeilles sont capables de ce type d'abstraction ; elles peuvent apprendre
plusieurs types de relation. Une des plus spectaculaires est l'abstraction de
l'équivalence. Dans cette expérience, un animal est typiquement confronté à un
premier objet (l'échantillon) qui est juste montré sans aucune récompense, et ensuite à une série d'objets parmi lesquels un seul est identique à l'échantillon.
L'animal doit apprendre à choisir toujours l'objet qui est identique à l'échantillon
pour obtenir une récompense alimentaire, et ce indépendamment des caractéristiques physiques particulières de l'échantillon qui, de plus, change régulièrement. Il doit donc apprendre la règle : « choisis toujours ce qu'on te montre, indépendamment de ce qu'on te montre ». Il s'agit donc d'extraire le concept
d'équivalence (en anglais, règle de « sameness »).
Afin de déterminer si les abeilles peuvent apprendre un tel concept d'équivalence, elles ont été entraînées avec un échantillon changeant non-récompensé à

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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