Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 15

PRESENTATION

que lui envierait tout sujet de droit ? C'est ce qu'entreprend de modéliser JeanLouis Dessalles, chercheur en intelligence artificielle, qui prédit une machine qui
pourrait alors être plus conséquentialiste que l'homme.
Pierre Cassou-Noguès s'interroge, quant à lui, sur la notion même d'intériorité, et sur la façon dont les nouvelles technologies transforment notre rapport à
nous-même et à notre vécu. Partant de Wittgenstein, il montre comment les technologies contemporaines déplacent cette intériorité, « de notre cerveau à un
écran » et modifie nos formes de vie. Plusieurs domaines sont envisagés pour
décrire ce nouveau phénomène, notamment celui de la « santé mentale digitale »
(en anglais digital mental Health) qui propose un autre accès au « mental ». C'est
dans ce même mouvement, que l'auteur se demande dans quelles circonstances
nous pourrions attribuer une intériorité aux robots et si ce « mental » ressemblerait alors à celui que nous prête la « santé mentale digitale ».
Dans une perspective juridique, Danièle Bourcier pose comme hypothèse
qu'il existerait chez tout être humain une part d'ombre, un for intérieur, un inconscient voire une conscience qui l'empêche d'avoir le plein accès à lui-même.
Beaucoup d'institutions reconnaissent cette nécessaire opacité de l'homme dans
son dialogue avec lui-même, caractérisée par le libre pouvoir d'appréciation ou
l'intime conviction. Il ne s'agit pas de transcendance mais juste d'une question
de fondement. Comment alors penser pouvoir représenter l'irreprésentable du for
intérieur humain dans une machine ? Pourrait-on imaginer que la machine arrive
à développer des capacités psychiques, une sorte de conscience artificielle à travers les couches cachées d'un réseau de neurones ou la boîte noire d'un algorithme ?
Miguel Benasayag pointe ensuite dans « L'homme et la vie post-organique »
ce mouvement scientifique contemporain visant à rapprocher, voire à assimiler
le vivant et le non vivant. Comme si, par le jeu de la modélisation des fonctions
vitales, par leur transformation en algorithmes, tous les processus vivants pouvaient être compris comme des fonctionnements mécaniques, reproductibles et
modifiables à l'infini. Or, en assénant que « tout est information », le monde digital non seulement, selon lui, ignore mais aussi écrase les singularités propres
au monde du vivant et de la culture.
La deuxième partie de l'ouvrage porte sur « Psyché, animaux, nature : penser
une intériorité des entités vivantes non-humaines ».
La place réservée à l'intériorité, dans le droit et dans les discours sur le droit,
concernant l'attribution de la qualité de sujet de droit semble grandissante et concomitante à l'évolution des sciences en intelligence artificielle, de la psychanalyse, des neurosciences, comme nous venons de le voir, mais aussi en éthologie,
en biologie et en philosophie. Celles-ci montrent en effet les grandes capacités
cognitives et psychiques, jusque-là ignorées de nombreux animaux et végétaux.
Telle est la démonstration réalisée par le biologiste et éthologue Martin Giurfa
dans son article « Dans le cerveau d'une abeille ». Il offre ici ses derniers résultats de recherche visant à déchiffrer divers aspects de la perception du monde et

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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