Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 163

PSYCHE, ANIMAUX, NATURE

est celle de l'espace 43 », écrit-il, et cet état de séparation crée du désir. La motricité végétale n'est pas auto-mouvement, lequel caractérise en tout cas « l'existence de l'animal [qui] manifeste une liberté affranchie de la nécessité 44 » ; et
« si la vie a le Désir pour essence, elle a le mouvement pour mode d'existence 45 ».
En effet, partir en quête d'une chose non encore à portée de main, rendre en
quelque manière présent ce qui est absent, est la marque du désir et la tournure
d'une existence nécessairement inquiète. Le mouvement spontané n'est pas à entendre comme un type de mouvement parmi d'autres tout comme le désir n'est
pas un besoin sophistiqué ; le mode de l'existence désirante, c'est-à-dire celui de
l'incomplétude, inaugure une rupture ontologique au sein des formes de vie. La
vie animale est inquiète, en raison de la disposition affective qui engendre le
détachement à l'égard du milieu. Le mouvement spontané n'est pas une caractéristique anodine ; il inaugure un rapport à l'espace tout différent de celui des
plantes. Hegel, le premier, a pensé la condition subjective de la vie animale à
l'aune de ce que le mouvement spontané inaugure. « Le contexte de la contingence extérieure ne contient presque que de l'étranger ; c'est continuellement
qu'il exerce une violence et fait peser une menace de dangers sur le sentiment de
l'animal, qui est un sentiment d'incertitude, d'anxiété et de malheur 46 », écrit-il,
conférant à la vie animale une tonalité existentielle, que Merleau-Ponty affirmera
explicitement, en pleine époque « existentialiste 47 ». En anticipant sur le point
qui suit, citons dans le même sens Plessner, qui qualifie la vie animale de « forme
close » : « Un maximum de clôture conditionne un maximum de dynamisme au
sein d'un état de mobilisation inlassable, d'inquiétude, de nécessaire combativité. Que l'instinct chez l'animal recherche la satisfaction de la pulsion, ou que
l'animal lui-même (consciemment) conduise de force à cette satisfaction, indiffère quant à la loi qui veut qu'être un animal signifie être un combattant » ; Ce
mode d'existence signifie pour Plessner une élévation du vivant « à un niveau
d'existence supérieur 48 ». Aussi la rupture ontologique la plus décisive au sein
des êtres des vivants se tient-elle entre les végétaux et les animaux, et non entre
les animaux et l'homme.
6. Forme ouverte et forme close
Il est encore possible de préciser les choses en s'appuyant sur deux concepts,
que Plessner emprunte à Hans Driesch, mais qu'il développe considérablement
43.
44.
45.
46.
47.

Renaud BARBARAS, Introduction à la phénoménologie de la vie, op. cit., p. 203.
Ibid., p. 218.
Ibid., p. 361.
Friedrich HEGEL, Encyclopédie des sciences philosophiques II, op. cit., p. 324.
Voir Maurice MERLEAU-PONTY, La structure du comportement, PUF, Paris, 1977 (1942), p. 137
et Maurice MERLEAU-PONTY, « Exploration du monde perçu : L'animalité », Causeries, IV, § 8
1948 (accessible en ligne). Il faut ajouter à ces occurrences, et aux analyses qui les étayent,
celles du cours du Collège de France (1956-1957) publié sous le titre La Nature, Seuil, coll.
« Traces écrites », Paris, 1995, p. 187 et suiv.
48. Helmuth PLESSNER, Les degrés de l'organique..., op. cit., respectivement p. 371 et 372.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020
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