Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 164

HUMAIN NON-HUMAIN

notamment en leur adjoignant celui de « positionnalité ». Ces concepts visent à
distinguer sur le plan ontologique la vie végétale de la vie animale : la forme
ouverte pour la première, et la forme close pour la seconde. La forme ouverte
« incorpore immédiatement l'organisme, dans toutes ses expressions vitales, à
son environnement, et fait de lui la section non autonome du cycle vital qui lui
correspond 49 ». La forme ouverte se caractérise par l'insertion immédiate de l'organisme dans son milieu ; la forme close par l'insertion indirecte de l'organisme
dans son milieu, et donc l'autonomie de cet organisme. Les remarques qui précèdent nous épargnent d'expliciter cette caractérisation de la vie végétale.
La positionnalité, terme préféré à celui de « position » qui est dépourvu de
toute dimension dynamique, est le mode d'être propre à la vie organique dont les
végétaux, les animaux et les humains sont les expressions dont Plessner établit
les propriétés ontologiques. Ce concept « n'est nullement une construction, mais
une acquisition obtenue à même la structure visible de ce qu'on nomme les
choses de notre perception 50 ». Plessner précise, dans les lignes importantes qui
suivent, comment procède le philosophe qui prétend dégager l'essence de la
chose en question. Du point de vue empirique, l'existence de zones grises, de
formes mixtes, pourrait conduire à l'affirmation d'un simple continuisme, forcément inconsistant puisqu'il noie les distinctions au prétexte qu'elles ne sont pas
absolument toujours marquées. « Le végétal et l'animal ne se laissent pas distinguer, quant à leur essence, selon des caractères empiriques. Leur différence, en
pleine réalité, est de l'ordre de l'idée. [...] On ne peut trouver dans l'empiricité
la ligne marquant la frontière entre règne végétal et règne animal ; il y a ici des
états intermédiaires à côté des formes caractérisées. L'unité de la vie, telle qu'elle
se manifeste dans les affinités courantes des processus nécessaires à la vie, fait
de la différence de nature entre l'existence animale et l'existence végétale une
différence de degré sur le plan empirique. [...] il y a [...] des animaux démunis
de centres constitués, comme il y a des plantes dépourvues de la faculté d'assimilation de substances inorganiques. La bipolarité du monde organique n'empêche pas que des passages mènent d'un extrême à l'autre, de même que l'extrémité du rouge et du bleu dans le spectre visible ne supprime pas le fait que
l'orange, le jaune, le vert et le pourpre les médiatisent en permanence. Il n'y a
pas de propriétés qui seraient réservées au seul animal ou au seul végétal, de sorte
qu'on ne peut fonder sur des propriétés leur différence essentielle 51 ».
Cette remarque ne vise aucunement à dédaigner l'ancrage vivant de l'existence, bien au contraire. « S'est-on une fois convaincu, écrit Plessner, de l'impossibilité d'une dimension de l'existence planant dans les airs, alors s'ouvre la
nécessité de sa fondation [...] il n'y a qu'un être à la corporéité vivante pour se
sentir affecté et s'angoisser. Les anges n'ont aucune angoisse. Même les animaux
49. Ibid., p. 353.
50. Ibid., p. 59.
51. Ibid., p. 372-373. Ou encore : « Une discrimination purement empirique du végétal et de
l'animal se heurtera constamment [...] aux plus grandes difficultés, parce qu'elle ne peut passer
par-dessus l'existence de formes qui font transition » (p. 353).

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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