Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 167

PSYCHE, ANIMAUX, NATURE

que l'auto-mouvement et le déplacement local confèrent à l'animal, la plante est
privée du même coup des attributs qui les accompagnent : la sensation, le système moteur, le système nerveux.
Certes, les botanistes contemporains soucieux de penser les plantes autrement
qu'à partir de la vie animale fustigeront ce vocabulaire privatif ; mais cette description phénoménologique est loin d'être obsolète ou erronée. Si la plante possédait l'un de ces attributs, poursuit Scheler, il faudrait qu'elle les possédât tous,
car ils forment une structure. Bien que les réalités vivantes aient pour caractéristique d'exister pour elles-mêmes, c'est-à-dire « d'avoir une intériorité où elles se
saisissent elles-mêmes », la plante vit dans l'extériorité : le mouvement de la
plante est toujours dirigé vers le dehors, sa poussée est « extatique ». Par ces
termes, Max Scheler signifie que la retransmission des états organiques à un
centre fait défaut aux plantes : ici « la vie ne revient pas sur elle-même 64 ». Pas
d'intériorité, donc, dans la vie végétale, pas de conscience de l'état interne, ne
fût-ce qu'au degré le plus faible, « car la conscience n'apparaît que dans la primitive re-flexion de la sensation 65 ».
8. La spatialisation et la temporalisation
Les analyses de Francis Hallé consonnent avec la perspective hégélienne :
« L'animal, écrit-il, nous donne l'image de sa propre liberté ; la plante, plus modeste, traduit les contraintes du milieu » ; ou encore : « Peut-être à la transcendance de l'animal et de l'être humain faut-il opposer l'immanence de la
plante 66 ». Il ne suffit en effet pas d'occuper l'espace pour être dans une relation
spatialisante à son environnement, ni de durer pour vivre le temps, être temporel.
Il faut en quelque manière se distinguer de ce dans quoi pourtant l'on baigne, être
dans un espace et en même temps face à lui, c'est-à-dire être dans un espace que
l'on peut quitter ; l'être temporel est dans le temps en le sentant passer, tandis
que l'être potentiellement immortel, qui se renouvelle sans cesse, n'éprouve pas
le temps. Spatialisation et temporalisation sont ainsi liées : « L'animal a un automouvement contingent, parce que sa subjectivité [...] est un livre temps qui, dégagé qu'il est alors de l'extériorité réelle, se détermine lui-même à partir de luimême, selon un hasard intérieur, à occuper tel ou tel lieu 67 », écrit Hegel. Contrairement au corps physique, simplement posé, le corps-vécu (Leib), médiatisé
en soi, habite essentiellement l'espace et le temps.
Est sujet l'organisme vivant qui peut se spatialiser et se temporaliser, et ces
opérations, précise Plessner, ne réclament pas nécessairement la présence de la

64. Ibid., p. 27.
65. Ibid.
66. Francis HALLÉ, Éloge de la plante. Pour une nouvelle biologie, op. cit., respectivement p. 299
et p. 300.
67. Friedrich HEGEL, Encyclopédie des sciences philosophiques II, Philosophie de la nature, op.
cit., p. 308.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020
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