Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 169

PSYCHE, ANIMAUX, NATURE

nauté morale, la commission se range majoritairement à une position biocentriste. Le fait pour un organisme d'être vivant ne suffit pas à lui octroyer des
droits forts. La position pathocentriste, qui s'appuie sur la certitude que les
plantes sont sensibles et dotées d'intérêts propres, n'est d'ailleurs défendue que
par un « petit groupe » parmi les membres (botanistes ou formés à la botanique)
de la commission 76, dont la majorité admet qu'il n'y a « pas d'indices probants
de l'existence d'une forme de vie intérieure chez les végétaux. Pour nous (et en
vertu de notre conviction envers les animaux dignes de protection au sens de la
loi sur la protection des animaux), toute vie intérieure est liée à une certaine
forme de conscience. Or, actuellement aucun indice ne permet d'attribuer une
conscience aux plantes 77 ». Cependant, la présence d'une « certaine forme de
sensibilité », notion sur laquelle il faut s'entendre, est envisagée par cette commission.
Il n'est pas anodin de conférer la sensibilité aux plantes, disposition « commune à la bête et à l'homme » sur laquelle Rousseau, dans la préface Discours
sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, fonde le droit
pour l'une comme pour l'autre de ne pas être malmené, a fortiori tué, par autrui.
La sensibilité, a minima définie comme la capacité à ressentir le plaisir et la souffrance, implique forcément un sujet de ces expériences : il n'y a pas de plaisir
sans sujet heureux, il n'y a pas de douleur sans sujet douloureux. Ou, pour le dire
autrement, il s'agit d'états vécus en première personne : ce plaisir est mon plaisir,
cette douleur est ma douleur. Le néologisme anglais sentience (dont la racine est
latine : sentio, percevoir par les sens) vise à enrayer toute approche possiblement
réductionniste de la sensibilité, dont son usage pour les plantes corrobore d'ailleurs l'existence, en mettant l'accent sur l'épreuve subjective, laquelle comporte
toute une gamme d'émotions, de sensations, de désirs.
b). L'irritabilité

Les mouvements végétaux sont-ils l'indice d'une sensibilité ? Ceux des
plantes grimpantes, de la mimosa sensitiva (la sensitive en langue vulgaire) en
particulier, ont fait l'objet de maintes remarques. Goethe cite les Recherches anatomiques et physiologiques sur la structure intime des animaux et des végétaux
et sur leur motilité du botaniste Henri Dutrochet qui, en 1824, note que la sensitive présente « au plus haut degré les phénomènes de l'irritabilité et de la motilité
végétales 78 ». Quel statut attribuer à ces mouvements ? Selon la définition qu'en
donnera quelques décennies plus tard Claude Bernard pour la distinguer de la
sensibilité, l'irritabilité 79 est la propriété que possède tout élément anatomique
76. Ibid., p. 14.
77. Ibid., p. 15.
78. Dans Préliminaires et prolongements à une morphologie des plantes (1824), repris dans La
Métamorphose des plantes [1790], traduit de l'allemand par Henri BIDEAU, Triades, Paris,
1975, p. 235.
79. Claude BERNARD, Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux
op. cit., vol. 1, p. 241-251. Cité par Mirko D. GRMEK, Raisonnement expérimental et recherches
toxicologiques chez Claude Bernard, Librairie Droz, Genève et Paris, 1973, p. 307.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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