Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 59

PSYCHE ET ROBOTS

enfourné dans un scanner pour une IRM fonctionnelle mais ne dit rien de la machine elle-même. Dans un entretien, Toussaint remarque néanmoins :
« L'installation de la salle 23 montre comment la réflexion sur la lecture peut
s'enrichir de ces moyens technologiques. C'est une " machine à lire dans les pensées " installée dans une cabine de douche. Dans cette cabine, il y a un siège, et
un casque d'électrodes relié à un amplificateur, lui-même relié à un écran sur
lequel les gens pourront voir ce qui se passe dans leurs pensées lorsqu'ils sont en
train de lire. Ce n'est pas tout à fait réel, c'est un leurre scientifique qui rappelle
que la lecture est une activité cérébrale intense. On ne l'exprime jamais clairement, et je voulais profiter des avancées technologiques pour le mettre explicitement en scène 2 ».
Il peut y avoir dans ce passage une certaine ironie. Dans plusieurs de ses romans (La télévision notamment 3) Toussaint décrit des appareils technologiques
dans une distance critique. Quoi qu'il en soit, et pour le dire d'emblée, la machine
est un « leurre ». Elle ne fonctionne pas. Une telle tentative, pour décrypter les
images que nous entretenons en lisant un roman, exigerait un scanner d'IRM fonctionnelle, et non un simple casque pour électro-encéphalogramme. Et, d'autre
part, elle exigerait que ce décodeur soit entraîné, réglé, que l'on ajuste ses paramètres, pour chaque sujet. Il serait donc impossible de laisser la machine à la
disposition de visiteurs qui s'y installent à tour de rôle pour voir leurs pensées
intérieures affichées sur l'écran. Néanmoins, l'installation de Toussaint rejoint
(dans la fiction donc) une multitude d'expériences de neuroscience, qui visent à
capter dans le cerveau des images : les images que le sujet observe sur un écran,
les images qu'il visualise intérieurement, les images qui entrent dans un rêve,
etc. 4
Ce qui m'intéresse surtout est cet « écran sur lequel les gens pourront voir ce
qui se passe dans leurs pensées lorsqu'ils sont en train de lire ». Dans le dispositif
de Toussaint, l'écran, sur le mur à côté de la cabine dans laquelle est installé le
lecteur, est tourné vers les spectateurs qui assistent à l'expérience. Ce sont
d'abord qui eux qui voient (ou verraient) les images qui passent dans la tête du
lecteur. Celui-ci doit, après avoir terminé sa lecture, sortir de la cabine pour alors
visionner le film qu'on lui repasse. Mais, ce film, il devrait l'avoir déjà vu, dans
sa tête pendant qu'il lisait. La machine saisit les images qui lui passent par la
tête : il ne devrait rien apprendre de nouveau en les revoyant à l'écran. Ou alors,
s'il faut prendre les mots de Toussaint à la lettre, si c'est sur cet écran que nous
verrons « ce qui se passe dans nos pensées », nous avons accepté que nous ne
savons pas, ou ne savons pas précisément, ce qui se passe dans nos pensées, et
avons confié à une machine le soin de le déterminer.
Si je ne peux pas ici discuter d'exemples trop nombreux, l'hypothèse que je
ferai est que le discours qui accompagne les neurosciences, les articles de jour-

2.
3.
4.

. Consulté en septembre 2015, a disparu depuis.
Jean-Philippe TOUSSAINT, La télévision, Minuit, Paris, 1997.
Je permets de renvoyer à mon essai, Lire le cerveau, Seuil, Paris, 2011.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

http://livre-louvre.arte.tv/entretien/

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