Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 71

PSYCHE ET ROBOTS

Ces questions, séduisantes pour l'esprit, ont-elles un fondement, voire une
raison d'être, dans le monde du droit ? L'IA a connu un premier vague d'applications : c'était dans les années 1990. Face à la décision artificielle qui suscitait
déjà quelques craintes, le droit avait anticipé le problème en Europe. En 1978,
l'article 2 de la loi française Informatique et Libertés avait répondu qu'aucune
décision de justice ne pouvait être prise sur les fondements d'un algorithme (profil). Elle ajoutait qu'une décision administrative ou privée (celle d'un organisme
de crédit par exemple) pouvait l'être mais qu'une intervention humaine était nécessaire pour rendre la décision opposable. La loi avait donc planté ses balises.
En clair, une décision juste ne devait être prise, au bout de la chaîne algorithmique, que par un être humain.
4. L'intimité de la décision humaine
Dans certains domaines de l'activité humaine comme le droit, sont prises des
décisions engageant les pouvoirs publics et garantissant la sécurité des citoyens
participant au service public. Certaines garanties sont prises pour sauvegarder
l'intimité des décisions 21. Comment les machines pourraient avoir des difficultés
à prendre en compte des institutions faisant référence à la notion d'intériorité :
nous allons examiner l'intime conviction et le pouvoir discrétionnaire pour tester
les limites de la transparence de la décision, réelle ou artificielle.
La conviction n'est pas un élément de la rationalité sollicité généralement
dans le rendu de la justice : c'est un « sentiment intérieur » par lequel le code
demande aux juges de se prononcer sur la culpabilité ou la non-culpabilité d'un
prévenu : « Avez-vous une intime conviction 22 ? ». L'intime 23 conviction est
une « méthode de jugement permettant de prendre en compte l'acte à juger et la
personne dans leur réalité et leur subjectivité » 24. Quel exercice de pensée demande le code ? Face aux preuves, le code demande aux juges de chercher dans
le « silence », « le recueillement » et la sincérité de leur conscience 25 leurs impressions face au dossier qui leur est présenté sur la culpabilité d'une personne.
Cette méthode montre que les preuves scientifiques ne sont pas les méthodes les
plus fiables pour emporter la conviction. Certes, une recherche de l'ADN peut
prouver qu'il y a eu rapport sexuel mais la violence est un élément constitutif du
viol qui ne peut être rapporté que par la victime. Cette preuve ne peut être validée
que par un être humain.
Le jugement de culpabilité dépend de la « conviction » des parties au procès mais le rôle du juge est plus important que la parole des parties et que la

21.
22.
23.
24.

Cicéron voit la recherche du juste chez le juge comme une « intima philosophia » (De Legibus).
Article 353 et 427 du Code de Procédure pénale.
Intime est le superlatif en latin de « intérieur ».
Jean-Marie FAYOL NOIRETERRE, « L'intime conviction, fondement de l'acte de juger », dans
Informations sociales, 2005/7, n° 127, 2005, p. 46 à 47.
25. Jean-Marie CARBASSE et Laurence DEPAMBOUR-TARIDE (Eds), La conscience du juge dans la
tradition judéo-chrétienne, PUF, Paris, 1999, Présentation p. 7-18.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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