PSYCHE ET ROBOTS 5. Le pouvoir discrétionnaire comme prérogative du décideur et facteur d'opacité Ce pouvoir est une prérogative de l'administration et du juge. Le régime du pouvoir discrétionnaire peut d'abord relever du droit public. Une décision fondée sur un tel pouvoir de l'administration requiert obligatoirement l'intervention humaine mais l'appréciation du contexte est souveraine et les fondements ne sont pas contraints par un ensemble déterminé de règles. La théorie du pouvoir discrétionnaire oppose la décision conduite par des règles (dite de compétence liée) et la décision conduite par le décideur sur sa propre analyse de la situation, sans motivation explicite. Ce pouvoir est à rapprocher de la « marge d'appréciation » du juge concernant la qualification des éléments de fait ou l'interprétation du texte juridique. Disposant d'un pouvoir discrétionnaire, le juge (civil ou administratif) n'a pas à donner ses raisons et même il n'en a pas le droit. La décision administrative pourrait être annulée sur le motif que des raisons auraient été données alors qu'elles ne devaient pas y figurer. On peut se demander quelle est la raison de cette interdiction qui peut paraître paradoxale. On peut ainsi expliquer cette boîte noire administrative : l'argumentation ou la motivation faisant partie de la décision, le raisonnement pourrait faire « jurisprudence » alors que l'administration ne veut pas être liée par ses propres raisons. 6. « En votre âme et conscience » : une souveraineté digitale ? L'expression « en son âme et conscience » décrit une autre méthode permettant au décideur (collectif) de ne pas décrire les motifs d'une décision. Le jury d'assise est un jury souverain : il juge au nom du peuple français, il n'est pas obligé d'en donner les raisons. On peut donc résumer le nombre de situations codifiées où la justice se réserve le droit d'expliquer ses raisons. Car il est dangereux de donner ses raisons car, à partir de cette divulgation, on peut les contester. Ce silence peut venir de la solennité due la décision (prise « Au nom du peuple français »). Elle peut venir de l'exigence de laisser la liberté d'appréciation à l'administration dans un monde où l'État de droit exige que ses agents soient soumis au droit, même quand cette soumission n'est pas explicite. Il peut s'agir de sauvegarder la subjectivité du juge qui n'a pas à reprendre les arguments « scientifiques » ou ceux des parties pour se déterminer. Ces différentes approches montrent comment le droit réserve la part humaine des décisions même si les preuves peuvent être claires scientifiquement. Il est d'ailleurs utile de rappeler la théorie juridique du sens clair des textes qui signifie que le décideur ne peut interpréter les termes de la loi si la loi ne lui laisse aucune latitude pour la préciser. Le langage du droit est donc un élément important de la distribution de la subjectivité dans la prise de décision. Et le langage n'est pas calculable. Il existe 73 DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020