Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 83

PSYCHE ET ROBOTS

mêmes, deux sciences qui nourrissaient jusqu'au début du XXe siècle l'espoir
d'une connaissance parfaite sur le monde, se sont heurtées aux limites structurelles de la connaissance positive. Pour autant, ni l'incomplétude de l'arithmétique, ni le principe d'indétermination de Heisenberg n'ont jamais signifié le désaveu de ces deux champs scientifiques. Les deux théorèmes de Gödel, d'incomplétude et d'inconsistance,
Comme l'incertitude en physique quantique fondent bel et bien un « non-su »
infranchissable qui n'est pas un échec du savoir mais la source, et peut-être même
la condition, de celui-ci. Le non-savoir de la vérité n'est pas une défaillance ;
c'est un moteur pour tout savoir qui existe ainsi comme une exigence.
Après les mathématiques et la physique, on ne voit guère pourquoi la biologie
ferait exception, sauf à se prétendre précisément au-dessus de toutes limites. Affirmer que les théories biologiques peuvent se structurer autour d'une dynamique
qui n'est pas entièrement dévoilable (c'est-à-dire qu'elle comprend des résultats
« négatifs ») ne constitue en rien un plaidoyer vitaliste. Le champ de la rationalité, y compris en biologie, peut très bien comprendre qu'il existe, dans tout système, du « non-connaissable », qui n'est pas de l'ignorance. Ce non-connaissable
n'est pas de l'ignorance, car il est l'effet du frottement de toute théorie, de toute
technique, avec cet autre qui est, de notre point de vue, le vivant, ou ce que nous
nommerons par la suite le « champ biologique ». Les êtres vivants s'auto-construisent à travers l'histoire, qui est fondamentale pour la biologie. Cela représente
un problème pour la formalisation et la modélisation : nous pouvons toujours
modéliser les contraintes physiques, mais pas les traces et les événements du devenir historique qui incluent l'aléatoire, la variabilité ou encore la diversité, c'està-dire la partie « intensive » organisatrice des êtres vivants. C'est la raison principale pour laquelle la biologie a besoin d'une théorie différente de la physique,
ce qui est en bonne partie niée par le physicalisme actuel. Le modèle organique
que nous présentons se veut une collaboration dans ce sens. Ce modèle, baptisé
« Mamotreto », se présente sous la forme d'un dispositif à trois étages (voir Figure page 86). Le premier, qui est également central, est le « champ biologique ».
Nous empruntons ici le concept de « champ » à la physique pour évoquer un
ensemble organisé et structuré de telle manière qu'il contient des unités identifiables, qui existent comme autant de modes et de manifestations de ce champ.
Au-dessus de cet étage central figurent ce que nous nommerons les « mixtes »,
c'est-à-dire les différentes combinatoires (langue, urbanisme, économie, technique...) qui sont des systèmes fonctionnant et se comportant comme des organismes autonomes, mais dont l'autonomie s'accompagne d'une dépendance vitale vis-à-vis du champ biologique.
Au niveau inférieur de notre modèle, nous plaçons la dimension composée
par les objets physico-chimiques qui fonctionnent selon des lois mécaniques.
Comme nous le développerons par la suite, le champ biologique est chronologiquement premier. Et ce n'est donc qu'à travers un travail de découpage, voire de

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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