Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 86

HUMAIN NON-HUMAIN

comportements propres aux êtres vivants qui se manifestent comme des niveaux,
plus ou moins complexes, d'intentionnalité.
Les organismes biologiques, contrairement aux objets de la physique, n'existent pas dans le cadre du temps et de l'espace où se passent les choses. Le vivant,
dans son ensemble dynamique, en tant que champ biologique, constitue la condition même de l'existence du temps et de l'espace.
Une autre caractéristique du champ biologique réside dans le fait que les
échanges d'information - entre les organismes, entre les organismes et le milieu,
et entre les parties propres à chaque organisme -, sont structurés selon un mode
non codé, non symbolique. Le fait qu'il nous soit possible de cartographier et de
nommer certains échanges et certaines structures des êtres biologiques nous fait
souvent prendre, à tort, la carte pour le territoire. Ainsi Wiener prophétisait que
l'homme pourrait un jour effectuer un voyage « en télégraphe 2 ».
Dans le champ biologique, les processus existent sous une forme intriquée et
complexe. Leur mode de fonctionnement est celui d'une interaction physico-chimique et dynamique, dans le sens où il ne fait pas appel à un langage entre deux
systèmes qui communiquent. Il suffit de penser au cas de la « communication »
entre les abeilles. Leur danse qui indique l'angle du vol, la quantité de vol dans
un sens, etc., n'est pas assimilable à un langage ; elle correspond à une interaction
sans rupture matérielle entre les systèmes communicants. Il est bien question ici
d'une continuité physico-chimique où des processus se déploient. Le trajet que
l'abeille doit suivre n'est pas « encodé » dans la danse. Il s'agit d'indications
concrètes qui, en interagissant avec des processus propres à l'espèce, provoquent
des réponses en interaction.

III. L'ADN n'est pas un support d'information
C'est sans doute à ce niveau que notre désaccord avec la biologie moléculaire
se fait le plus prégnant. Les processus qui s'imbriquent et se développent dans le
noyau de la cellule et le cytoplasme, entre l'ADN et les ribosomes, ne sont pas, de
notre point de vue, des processus de « lecture/traduction d'un code ». La forme
et le type des protéines ne se trouvent pas « encodés » dans l'ADN. C'est plutôt à
la suite de processus physico-chimiques complexes, interagissant avec l'ADN et
dans certaines conditions épigénétiques, que des protéines seront synthétisées.
Dans l'imaginaire dominant actuel, la macromolécule d'ADN serait simplement le support (par définition remplaçable) d'une quantité d'information encodée. Selon cette hypothèse, le processus de « traduction » qui s'opère dans les
ribosomes est donc en tout point comparable à celui d'une imprimante 3D : une
information codée est traduite dans une série d'instructions qui permettent à la
2.

« Admettons alors que l'idée selon laquelle on pourrait imaginer non seulement le voyage par
train ou en avion, mais aussi par télégraphe, n'est pas absurde en soi, si loin qu'elle doive être
de sa réalisation. », Norbert WIENER, Cybernétique et société, Seuil, « Points Science », Paris,
2014 [1954], p. 131.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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