Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 87

PSYCHE ET ROBOTS

machine de produire un objet. Nous sommes clairement ici dans un cas de discontinuité matérielle. On comprend aisément qu'il existe une différence matérielle entre l'information qui parvient à l'imprimante et les processus qu'elles
déclenchent.
Or, dans le cas de l'ADN, rien ne nous permet de formuler une telle hypothèse.
Les ribosomes ne traduisent pas un code pour ensuite déclencher une action de
production. Difficile de ne pas percevoir la contrebande idéaliste, voire spiritualiste, se cachant derrière cette hypothèse, qui suppose qu'à un moment donné
l'esprit domine la matière. À l'inverse, nous pouvons tout à fait penser que nous
sommes ici dans un cas très concret d'une continuité matérielle dans laquelle
certains processus en déclenchent d'autres sans qu'il y ait ce moment de discontinuité. Ce sont les processus physico-chimiques eux-mêmes qui, dans certaines
conditions, se développent dans un sens ou dans un autre.
Nous savons d'ores et déjà que, loin de transporter un code très strict, l'ADN,
pour agir, nécessite un contexte au sein duquel poursuivre son fonctionnement
chimique. Les rêves du type Jurassic Park sont ridicules précisément pour cette
raison : le fonctionnement de l'ADN s'arrête ou se modifie radicalement selon le
contexte où a lieu le processus matériel.
Comme nous l'avons déjà dit et répété, la grande question de notre époque
réside sans doute là : étant donné cette discontinuité physico-chimique (ce moment de la traduction depuis une information immatérielle jusqu'à la matière),
serait-il possible de recueillir toute l'information - et, plus encore, de capturer
l'ensemble dynamique qui constitue un organisme - pour l'enfermer dans un
code immatériel en vue de la matérialiser plus tard ? On connaît aujourd'hui la
réponse dominante : puisque tout est information, tout est donc potentiellement
modélisable et transformable. Or une telle réponse, en ne tenant pas compte de
cette discontinuité, ignore en même temps la complexité profonde des processus
qu'elle cartographie en croyant subsumer le territoire.
Les liens entre les différentes parties d'un organisme relèvent d'un type de
rapport et de continuité particulier. Nous avons déjà évoqué la définition que
donne Kant de ce rapport dans la Critique de la faculté de juger : chaque partie
est pour et par l'autre. Ce « pour et par l'autre » évoque le mode global où les
parties de l'organisme participent ainsi à la continuité entre les parties et comprend également une « continuité sans contiguïté », c'est-à-dire qui n'est pas seulement de l'ordre d'une proximité géographique.
Il est ainsi évident qu'entre les « puits » (par exemple, les glandes) et les
« sources » (par exemple, les organes), il n'y a pas une communication qui repose sur la contiguïté, mais sur une continuité dynamique.
Les liens qui constituent cette continuité sont caractérisés par Longo, nous
l'avons vu, comme un « état critique étendu », où la longueur de corrélation entre
les parties tend à l'infini. Ces liens dynamiques sont à penser comme des « liens
subtils », c'est-à-dire qui n'existent pas sous le même mode que les liens modé-

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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