Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 88

HUMAIN NON-HUMAIN

lisables et prévisibles, les « liens concrets ». Les premiers sont surtout diachroniques et très complexes ; les seconds plutôt synchroniques, et leur trajectoire
passée est identifiable dans la situation présente.
L'état critique se caractérise par un rapport particulier entre le global et le
local, dans lequel la variable « globale » se manifeste dans chaque partie locale,
sans qu'il y ait dans l'organisme une partie qui soit assimilable à cette globalité
hors le multiple local. Un organisme biologique possède en général des parties
vitales, mais jamais des parties « centrales ». Au total, il est nécessaire de comprendre que le champ biologique, c'est-à-dire la vie elle-même, est, de ce point
de vue, condition de l'existence.
L'état critique étendu d'un organisme fonctionne, entre autres, selon un mécanisme que nous avons qualifié de « double contrainte ». Celui-ci capture l'ensemble des éléments qui composent un organisme. De ce point de vue, il n'y a
pas à rechercher une dimension particulière à partir de laquelle nous pourrions
affirmer que nous sommes en présence du vivant. Celui-ci, au contraire, se caractérise par le fonctionnement « état critique/double contrainte », qui se joue à
tous les niveaux de chaque organisme. C'est la raison pour laquelle, si nous pouvons sans difficulté identifier des organes vitaux, il est en revanche impossible
de désigner une centralité quelconque du vivant par rapport à laquelle les cellules, les organes et les tissus seraient périphériques.
Si, d'une façon très concrète, nous pouvons définir l'existence comme ce qui
possède une durée et une dureté, et dans le temps et dans l'espace, cette durée et
cette dureté ne peuvent exister que pour et par des êtres vivants qui peuvent
l'éprouver. C'est parce que des corps vivants sont affectés par des stimuli « x »
qu'ils peuvent, en accord avec la conformation de leurs corps, éprouver et être
en relation avec des objets existants. C'est parce que les organismes biologiques
sont discrets, découpés, avec des bornes et des limites, qu'ils peuvent découper
leur milieu, le discrétiser en co-évoluant avec lui. Le milieu a un sens pour les
organismes précisément parce que ces organismes sont limités. Chaque corps coconstruit les objets avec lesquels il est en relation par rapport à la constitution de
son propre corps. Comme l'écrit Poincaré, il existe autant de dimensions dans
l'espace que de muscles...
Comme nous le verrons, les artefacts et les particules peuvent interagir mais
ils ne peuvent pas être affectés. L'affectation est le propre du champ biologique.
Elle est sous condition de la finitude et de l'histoire de ce champ et des organismes qui la composent. Un artefact est toujours - et au-delà de sa complexité
- un pur extérieur. Il ne produit pas ses parties à partir de sa propre singularité.
Un artefact peut toujours associer d'autres parties extensives à sa structure (il est
toujours possible d'y intégrer d'autres modules), mais il ne « découpe » pas son
milieu, il agit toujours dans une continuité infinitésimale mécanique. Un artefact
n'est jamais auto-découpé. C'est son utilité, établie depuis l'extérieur, qui lui
confère une unité. Ainsi nous voyons et utilisons un téléphone, mais les parties
qui composent ce téléphone ne sont pas un téléphone. Les artefacts ne se structurent pas autour d'un « en-soi » ; ils n'existent que « pour autrui ».

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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