Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 98

HUMAIN NON-HUMAIN

la cognition, la boite noire, la conscience 22, le réseau de neurones, le cerveau
artificiel 23... sont autant de concepts scientifiques ouvrant et œuvrant à un rapprochement entre l'humain et le non-humain par l'intériorité 24.
Penser l'évolution et l'analyse du droit en terme d'intériorité offre ainsi de
nouvelles perspectives d'étude et d'explication du phénomène normatif concernant le non-humain. Dans une approche faisant de l'analyse du droit positif un
élément de connaissance des sciences de l'humain 25, et plus globalement dans
une approche d'anthropologie juridique 26, nous proposons alors de montrer que
le droit produit, à sa manière, une sorte de continuité humain - non-humain 27, à
partir d'une reconnaissance de qualités intérieures 28 aux entités auxquelles il attribue la personnalité juridique : la capacité à vouloir, à souffrir, au bien-être,
l'existence d'une vie psychique, certaines compétences cognitives. Une proximité humain-non-humain, par l'intériorité, que Philippe Descola s'est attaché à
montrer chez certains peuples indigènes à travers notamment la figure de l'animisme 29. Une proximité que Kelsen en son temps rappelait à travers le droit primitif et l'animisme pour lequel « toutes les choses sont des hommes ou des êtres
semblables aux hommes », c'est-à-dire dotés aussi d'une « âme » 30 de telle sorte
que l'ordre juridique qui prescrirait la conduite d'un non-humain serait « lui aussi

22. Par exemple, la capacité de conscience des abeilles, voir sur ce point les travaux de Martin
GIURFA, notamment David BARACCHI, Mathieu LIHOREAU & Martin GIURFA, " Do Insects
Have Emotions? Some Insights from Bumble Bees " , dans Frontiers in Behavioral Neuroscience, Frontiers, 2017, p. 11-157.
23. Voir le développement des travaux sur ce point, pour un aperçu :
.
24. Avec les limites importantes que cela suppose concernant l'humain et le robot mais aussi
l'humain et l'animal, dans le domaine de la vie mentale. Par exemple, la question des
présupposés de l'utilisation pour l'humain des résultats issus des expérimentations en
psychiatrie sur les animaux, se pose. Voir en ce sens, Pierre-Henri CASTEL, L'esprit malade,
Editions d'Ithaque, Paris, 2010.
25. Voir Denys de BÉCHILLON, Qu'est-ce qu'une règle de droit, Odile Jacob, Paris, 1997 ; voir
aussi Régis PONSARD, Des apports d'une analyse juridique pluridimensionnelle du droit. De
l'autarcie juridique à l'autonomie scientifique (en cours de publication).
26. Denys de BECHILLON, « La valeur anthropologique du droit », dans RTD civ, 1995, p. 835.
27. Cette approche en terme d'intériorité qui met en lumière une continuité humain /non-humain
dans le droit par l'intériorité, permet de réinterroger la question du rapport nature/culture. Dans
quelle mesure le droit est-il au confluent de cette problématique, comment vient-il matérialiser,
illustrer une résolution de cette tension entre nature et culture ? Comment le droit (culture)
illustre une conception naturaliste du psychisme (naturel) et comment le droit (culture) vient
résoudre une tension entre culture (construction juridique) et nature (fil du vivant) ?
28. Allant alors à l'encontre de la « tradition culturelle qui différencie résolument les hommes des
animaux par l'esprit », voir Jean.-Pierre MARGUÉNAUD, « le droit animal, de l'anecdotique au
fondamental », Recueil Dalloz, Paris, 2017, p. 996-1003.
29. Philippe DESCOLA, Par-delà nature et culture, op.cit..
30. Hans KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit. p. 92, voir aussi ibid. p. 40 notamment. ; et Hans
KELSEN, Théorie générale du droit et de l'État, op. cit., p. 56.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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