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PRÉCIS DE CULTURE JURIDIQUE
ridiculise. Le message est clair : la querelle « relie la question de la loi à celle du langage, qu'il
faut maîtriser parfaitement (et sans bégaiement) pour être un homme de loi compétent »8
.
Bien sûr, discours juridique et discours littéraire doivent être distingués : le droit c'est le
« comme ça » ; la littérature, le « comme si ». Prescription d'un côté ; fiction de l'autre9
. Mais
il faut nuancer : le droit aussi se nourrit de fictions ; et les poètes aussi se donnent des
règles10
. Des ponts sont donc à jeter.
Madame de Staël l'avait déjà suggéré dans le programme d'un essai. Et peu importe qu'elle
ne l'ait pas vraiment suivi, la voie était tracée : « examiner quelle est l'influence de la religion,
des mœurs et des lois sur la littérature, et quelle est l'influence de la littérature sur la
religion, les mœurs et les lois »11
. Près de deux siècles plus tard, Richard Posner, un grand
juge américain, résumera deux autres pistes de recherche : appliquer les outils d'analyse
juridique à la littérature ; appliquer les outils d'analyse littéraire au droit12
.
De fait, il y a bien des façons de considérer les rapports du droit et de la littérature13
.
Classiquement, trois sont enseignées. Le droit de la littérature envisage d'abord les questions
relatives à la propriété ainsi qu'à la responsabilité de l'écrivain. Le droit peut ensuite
être appréhendé comme une forme de littérature, ou recherché dans la littérature. Ici, la
manière dont un romancier aborde une question juridique suscitera la réflexion14
style de tel ou tel type d'écrit juridique fera l'objet d'une attention particulière15
. Là, le
. Cela étant,
d'autres croisements peuvent être esquissés. Dans une profonde étude sur L'Étranger de
Camus, un juriste estime ainsi que « les rapports entre le droit et la littérature peuvent être
envisagés sous une quatrième perspective : le droit par la littérature ». L'idée est cette fois
que les œuvres littéraires permettent de « mieux comprendre le cadre social de la production
juridique et, plus particulièrement encore, les représentations de la nature humaine et les
configurations des rapports entre les êtres humains, dont l'intelligence est indispensable à la
pensée juridique et à la production du droit »16
. Enfin, pourquoi pas un droit à la littérature ?
Quel que soit le point de vue, le rapprochement est fécond. Le droit vaut d'être libéré des
passions tristes qui le rongent. Rabelais raillait son byzantinisme ; Flaubert haïssait son
prosaïsme ; d'autres regrettent son formalisme. Combien s'en détournent parce qu'il n'offre
plus de réelle prise avec la vie ? La logique des nombres le réduit à une technique de management
peu réjouissante17
. À cet égard, la littérature peut lui apporter un supplément d'âme.
Comme tout art, elle élargit notre champ de vision. Qu'elle les imagine, les affermisse, les
bouscule ou les enrichisse, la littérature interroge les catégories, les raisonnements, les
institutions, les cultures juridiques. Subversive ou créatrice, elle est une force.
Le juriste ne peut s'en désintéresser, soit que le droit et la littérature s'inscrivent dans un
rapport d'opposition (§ 1), soit que ces deux- là entretiennent un rapport d'association (§ 2).
8. V. Géraud, V° Beaumarchais, in Méniel B. (dir.), Écrivains juristes et juristes écrivains du Moyen Âge au siècle
des Lumières, 2015, Classiques Garnier, spéc. p. 106.
9. ost F., Raconter la loi, 2004, Odile Jacob, spéc. Introduction.
10. grall C. et luciani A.-M., Imaginaires juridiques et poétiques littéraires, 2013, CEPRISCA, coll. Colloques.
11. G. de staël, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800), 1872, Paris,
Charpentier, p. 12.
12. Posner R., Droit et Littérature, 1996, PUF.
13. Malaurie Ph., Droit et Littérature, 1997, Cujas, p. 7.
14. V. par ex. salas D. (dir.), La plume et le prétoire, 2014, La Documentation française.
15. cardozo B., Droit et littérature (1925), 2016, Dalloz, coll. Tiré à part.
16. verdussen M., « L'étranger, Sur les révoltes fondatrices d'Albert Camus contre le mensonge, l'injustice et la
violence », in Jongen F. et leMMens K. (dir.), Droit et Littérature, 2007, Anthemis, p. 45 et s., spéc. p. 60.
17. suPiot A., La gouvernance par les nombres, 2015, Fayard.
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