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PARTIE 1. TITRE 1 - DROIT ET LITTÉRATURE
§ 1. L'opposition
Le mythe de l'écrivain maudit a la dent dure. La littérature se trouverait constamment
menacée par le droit. Réciproquement, celui- ci est souvent pris pour cible par les écrivains.
L'opposition du droit et de la littérature a donc lieu dans les deux sens : tantôt le droit s'érige
contre la littérature (A) ; tantôt la littérature se dresse contre le droit (B).
A. Le droit contre la littérature
L'écrivain n'est plus sur le piédestal que lui avait ménagé le xixe siècle18
. Le statut de prophète
qu'il a un temps assumé a fait long feu. Aussi la littérature est- elle susceptible d'être sur la
sellette : soit au nom de l'intérêt public (1), soit au nom d'intérêts privés (2).
1. Au nom de l'intérêt public
Certains grands procès littéraires sont restés dans les mémoires. Trois surtout, ne serait- ce
que parce qu'ils eurent lieu la même année (1857). Il s'agit des procès Flaubert (pour quelques
passages de Madame Bovary19
), Baudelaire (pour quelques pièces des Fleurs du Mal) et
Eugène Sue (pour Les mystères du peuple). Tous les trois ont été menés sur le fondement
d'une loi de 1819 qui condamnait l'« outrage à la morale publique et religieuse ou aux bonnes
mœurs ». On objectera qu'ils appartiennent désormais à l'histoire et que les bonnes mœurs
sont mortes. Et c'est vrai : le nouveau Code pénal a supprimé le délit d'outrage aux bonnes
mœurs qui avait encore fondé les poursuites intentées au xxe
Pauvert par exemple20
siècle contre un Jean- Jacques
.
Si l'arsenal a changé de figure, a- t-il néanmoins totalement disparu ? Pas du tout ! Il est au
moins une catégorie de lecteurs que l'État entend préserver du danger de certaines formes
littéraires : les jeunes. Le problème est que sous couvert de protection de la jeunesse, les
textes s'avèrent si plastiques qu'ils pourraient fort bien être le cheval de Troie d'une nouvelle
censure. Passons sur la loi du 16 juillet 1949, qui ne concerne guère que les publications
destinées à la jeunesse. Reste toutefois l'article 227-24 du Code pénal, un texte beaucoup
plus général dont les termes évasifs peuvent inquiéter : « Le fait soit de fabriquer, de transporter,
de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message
à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement
atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant
physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans
d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu
ou perçu par un mineur ». Que de portes ouvertes à l'arbitraire ! Tout n'est- il pas « susceptible
d'être vu » ou, à plus forte raison, « aperçu » par un mineur ?
On comprend dans ces conditions qu'une question prioritaire de constitutionnalité ait été
posée. Un tel texte répressif n'est- il pas contraire au principe de la légalité des délits et des
peines ? N'est- il pas disproportionné au regard de la liberté d'expression ? Que nenni, décide
récemment la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 janvier 201621
18. BénicHou P., Le sacre de l'écrivain, 1996, Gallimard, coll. Bibliothèque des idées.
19. Pierrat E., « Le procès d'Emma Bovary », RDL 2017, p. 81 et s.
20. Pierrat E., Jean- Jacques Pauvert, l'éditeur en liberté, 2016, Calmann- Lévy.
21. Cass. crim., 12 janv. 2016, n° 15-90020.
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