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PRÉCIS DE CULTURE JURIDIQUE
C. L'égalité libérale de la Révolution
L'abbé Sieyès, un des grands bâtisseurs de l'égalité devant la loi en France, n'était pas de
cet avis et a consacré une partie de sa vie et ses travaux à combattre les privilèges. Dans
son Essai sur les privilèges de 1788, il montre ainsi que « tous les privilèges sont, par la
nature des choses, injustes, odieux et contradictoires à la fin suprême de toute société
politique ». Pour lui, les privilèges sont injustifiés et nuisibles, car ils fabriquent les membres
d'une caste qui ne songent plus qu'aux intérêts particuliers de cette dernière.
Selon ce grand défenseur du tiers état, l'égalité devant la loi implique non seulement que
tous y soient également soumis, mais aussi que tous concourent à parts égales à son
élaboration. Cette élaboration devant être le fait des individus et non des corps constitués
et des privilégiés.
En revanche, pour Sieyès, l'inégalité réelle est parfaitement compatible avec l'égalité devant
la loi. Et cette aspiration sera suivie par la DDHC, notamment en son article 6 qui énonce
que tous les citoyens sont égaux aux yeux de la loi et que ces derniers « sont également
admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre
distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Cette Déclaration introduit donc la
méritocratie républicaine censée, en gommant tout privilège de naissance, donner à chacun
ses chances en fonction de ses mérites seulement. Cette méritocratie favoriserait ainsi les
meilleurs sans se préoccuper de savoir en vertu de quels avantages familiaux et sociaux
antérieurs ils le seraient devenus.
D. Vers l'égalité des conditions ?
À notre époque contemporaine, il est apparu que l'égalité abstraite des Lumières serait insuffisante
en ce qu'elle ne chercherait qu'à corriger l'arriéré des inégalités de naissance sans
tenter de lutter contre les inégalités de nature. Pour le philosophe américain John Rawls,
« la répartition actuelle des revenus et de la richesse est l'effet cumulatif de répartitions
antérieures des atouts naturels (...) L'injustice la plus évidente du système [de la carrière
ouverte aux talents] est qu'il permet que la répartition soit influencée de manière indue par
des facteurs aussi arbitraires d'un point de vue moral »18
.
Il s'agit donc pour la société d'intervenir pour compenser ces inégalités et faire en sorte
que les positions sociales soient réellement et non seulement juridiquement ouvertes à
tous. C'est dans cette droite ligne que Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel,
déclare en 2007 qu'il « convient non seulement de respecter les libertés formelles, mais
aussi de garantir les libertés réelles, ce qui impose de réaliser un degré suffisant d'égalité
de fait. D'où la nécessité de politiques sociales, au sens large du terme, tendant à l'égalité
effective entre citoyens »19
.
De l'égalité géométrique à l'égalité devant le droit, nous en sommes ainsi arrivés à une
égalité par le droit par laquelle il ne s'agit plus seulement d'attribuer à tous les mêmes
droits - peu important les mérites propres de chacun -, mais aussi à tendre vers l'égalité
des conditions sociales et économiques.
Une illustration de ce glissement de l'égalité devant le droit à l'égalité par la règle de droit
se retrouve notamment au niveau communautaire. Ainsi, si l'article 119 du traité de Rome20
18. rawls J., Théorie de la justice, Seuil, 1987 (édition originale, 1971).
19. Cahiers du Conseil constitutionnel, juin 2007, n° 22.
20. Traité instituant la Communauté économique européenne.
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