Les Intégrales - Volume 21 - Les pactes d'affaires - 1re - 204

LES PACTES D'AFFAIRES
221 Plan. - À première vue donc, le droit de la concurrence porte un regard réprobateur
sur les pactes de non-agression. Ce faisant, l'application des règles de concurrence aux
pactes de non-agression devrait à coup sûr les exclure de la vie juridique. La nullité
devrait être la seule issue acceptable pour ces perturbateurs de l'ordre économique. Une
tolérance zéro devrait leur être réservée, la conclusion d'un pacte de non-agression
constituant toujours un acte de délinquance économique. Une telle lecture, pour confortable
qu'elle soit, est cependant erronée. Car le droit de la concurrence entretient un
rapport ambigu avec les pactes de non-agression. En effet, dans certaines circonstances,
les pactes de non-agression sont encouragés par les autorités de concurrence. C'est
notamment le cas lorsqu'apparaissent des crises économiques ou sanitaires30
. Dans de
tels contextes, la non-agression, qui se dessine sous les traits rassurants de la collaboration,
est saluée ; l'urgence économique ou sanitaire justifiant un assouplissement de
l'application du droit de la concurrence. C'est encore le cas lorsque la science économique
démontre que l'accord litigieux génère plus d'effets pro-concurrentiels qu'anticoncurrentiels.
Aux États-Unis par exemple, l'application de la rule of reason31
des résultats assez surprenants. À vrai dire, c'est surtout l'« économisation »32
produit
du droit
de la concurrence qui permet d'engendrer des résultats parfois contre-intuitifs, la
science économique validant des accords qu'une analyse formelle33
nécessairement rejetés. En définitive, le droit de la concurrence ne prohibe pas de
manière absolue les pactes de non-agression. Son attitude à l'égard des pactes de nonagression
n'est pas exclusivement obsidionale. Il les tolère dans certains cas (section 1)
et les sanctionne dans d'autres (section 2).
SECTION 1
La non-agression tolérée
222 Une tolérance mesurée. - Si le droit de la concurrence tolère les pactes de non-agression,
cette tolérance n'est pas absolue ; elle est au contraire toute relative. Pour échapper
au couperet de la sanction, encore faut-il que le pacte litigieux n'ait que de faibles incidences
sur la concurrence ou que la science économique ait démontré leurs effets très
largement pro-concurrentiels. Aussi, le droit de la concurrence est-il indifférent, d'une
part, aux « petits » pactes de non-agression et, d'autre part, aux pactes qui génèrent un
effet de bien-être important pour les consommateurs. S'agissant de ces derniers, ils
peuvent bénéficier d'une immunité antitrust notamment lorsqu'ils remplissent certaines
conditions prévues dans les règlements d'exemption ou celles de l'exemption individuelle.
La littérature académique étant profuse sur cette question, nous ne l'aborderons
pas en détail ici. Au regard d'événements récents, il nous semble bien plus intéressant de
s'attarder sur la question des pactes conclus en temps de crise, qui étant conclus dans
de telles circonstances peuvent éviter la sévérité du droit antitrust. Aussi, convient-il de
s'intéresser tout d'abord à la tolérance pour les « petits » pactes de non-agression (§ I)
avant d'évoquer celle décelée pour les pactes conclus en temps de « crise » (§ II).
(30) La crise du Covid-19 offre à cet égard une illustration saisissante. Sur le sujet : v. not. notre étude W. CHAIEHLOUDJ,
« Entre assouplissement et intensification : le droit de la concurrence à l'épreuve des vents contraires du coronavirus
», JCP E 2020, nº 15-16, p. 31 ; L. BETTONI,« L'application du droit des pratiques anticoncurrentielles dans le
contexte de pandémie de Covid-19 », Contrats, conc., consomm. 2020, nº 5, étude 6 ; F. JENNY, « Competition law
and health crisis », Concurrences, nº 2-2020, art. 94271.
(31) Pour une étude complète sur la rule of reason :v. D. FASQUELLE, Droit américain et droit communautaire des ententes
-Étude de la règle de raison, GLN/Joly éditions, Paris, 1992, 292 p.
(32) Sur le sujet. : v. not. C. PRIETO, « Source économique du droit de la concurrence : quelle efficacité ? », Contrats,
conc. consomm. 2020, nº 6, dossier 3. Cette poussée de l'« économisation » du droit portée par les représentants
d'un courant politique très libéral a provoqué une crise du droit antitrust. Un auteur y voit la trace d'un « droit
déboussolé ». V. J.-Ch. RODA, « La crise du droit antitrust», in Mélanges en l'honneur de Jacques Mestre, LGDJ,
Paris, 2019, p. 839.
(33) L'analyse formelle est une approche par laquelle on refuse « de confronter les catégories juridiques formelles avec la
réalité économique ». Pour un exposé exhaustif sur le sujet : v. not. P. REIS, « Les méthodes d'interprétation, analyse
formelle, analyse substantielle et sécurité juridique », in Sécurité juridique et droit économique (dir. L. Boy,
J.-B. Racine, F. Siiriainen), Larcier, Bruxelles, 2008, p. 189.
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