Les Intégrales - Volume 21 - Les pactes d'affaires - 1re - 205

Cha p i t r e 1 - L e s pact es d e n o n - agr es s i on
§ I - La tolérance pour les « petits » pactes
223 Inspiration du droit romain. - De minimis non curat praetor. Cet adage qui faisait office
de règle de droit chez les romains a puissamment imprégné le droit de la concurrence.
On le retrouve aujourd'hui sous une formulation voisine : de minimis non curat lex...
Qu'exprime exactement cet adage ? Tout simplement que le juge de la concurrence n'a
pas à s'occuper des menus litiges. Partant, les « petits » pactes de non-agression, c'està-dire
ceux n'ayant aucune incidence sensible sur le marché, doivent-ils être à l'abri
d'une application mécanique du droit des pratiques anticoncurrentielles, et notamment
de la prohibition des ententes. En effet, certains petits accords sont protégés par la
règle de minimis (A). Toutefois, malgré la faible résonance qu'ils peuvent avoir sur le
marché, tous les petits pactes ne bénéficient pas de cette indulgence (B). Certains, pour
des raisons de politique jurisprudentielle, sont rejetés par la règle de minimis.
A - Les pactes protégés par la règle de minimis
224 Naissance du principe. - La règle de minimis est apparue en droit européen avec
l'arrêt Völk de la Cour de justice à la fin des années 1960. Dans cette décision, la Cour
jugea qu'« un accord échappe à la prohibition de l'article [101 TFUE] lorsqu'il n'affecte
le marché que d'une manière insignifiante, compte tenu de la faible position qu'occupent
les intéressés sur le marché des produits en cause»34
. Aussi la Cour décida-t-elle que
certains accords, bien qu'anticoncurrentiels, ne doivent pas être sanctionnés dès lors
qu'ils n'ont qu'une faible incidence sur le marché. Tout ce qui est petit serait donc
inoffensif pour la concurrence... À vrai dire, l'arrêt consacra sans l'exprimer
explicitement une politique jurisprudentielle bien déterminée qui, on le verra, aura par
la suite une grande fortune. Qu'est-ce à dire ? Comme l'ont relevé des auteurs, une
politique jurisprudentielle, non seulement, répond à un besoin, mais aussi, impose au
juge de faire un choix35
. En ce qui concerne les petits accords, il y avait tout d'abord un
. En effet, il fallait à tout prix éviter un phénomène
. Le traitement des petites affaires aurait
besoin pressant : celui de ne pas saturer la Commission européenne pour des accords que
l'on pourrait qualifier de « bagatelle »36
d'asphyxie qui menaçait la Commission37
conduit la Commission à se détourner d'affaires beaucoup plus importantes pour l'avenir
du marché européen. Pour répondre à ce besoin de désengorgement, il a donc fallu faire
un choix. Le choix de la Cour fut celui de se désintéresser des accords dont les
incidences pour la concurrence sont très faibles. Bien que contestable, en ce qu'il
préserve de la sanction des accords pourtant anticoncurrentiels, ce choix a été plébiscité
par la Commission. Suite à cet arrêt, cette dernière adopta des communications dites de
minimis dans lesquelles elle indiquât aux entreprises les conditions à remplir pour que
leur accord soit qualifié d'importance mineure. La dernière communication en date a été
publiée en 201438
.
(34) CJCE, 9 juill. 1969, aff. C-5-69, Völk, Rec., p. 295, § 7.
(35) G. CANIVET et N.MOLFESSIS, « La politique jurisprudentielle », in La création du droit jurisprudentiel -Mélanges en
l'honneur de Jacques Boré, Dalloz, Paris, 2007, p. 79. Ces auteurs expliquent que « la politique jurisprudentielle
est un besoin, mais un besoin toujours discuté, source de conflits, de controverses, de dissensions» et que « dans
cette manière de gouverner et de décider que postule une politique, il faut en effet une opinion préalable, non
seulement un accord sur la décision à prendre mais aussi une insertion de cette décision dans un mouvement
d'ensemble qui la justifie et l'explique ».
(36) Nous empruntons l'expression au Doyen Carbonnier qui, dans l'un de ces célèbres articles rappela qu'outre-Rhin,
les Allemands parlent de Bagatelljustiz pour désigner la justice applicable aux menues affaires. V. J. CARBONNIER,
« Vers le degré zéro du droit : De Minimis... », in Flexible droit -Pour une sociologie sans rigueur,10e
Paris, 2001, p. 74, spéc. p. 75.
éd., LGDJ,
(37) Il faut dire que la Commission était au bord de l'asphyxie. À cette époque, le règlement nº 17/62 était encore en
vigueur et celui-ci prévoyait un système de notification préalable des accords. Autrement dit, la Commission devaitelle
examiner tous les accords qui lui étaient soumis par les entreprises. Ce système de notification préalable a été
supprimé avec l'adoption du règlement nº 1/2003 encore aujourd'hui en vigueur et qui laisse aux entreprises la
charge d'autoévaluer les accords qu'elles concluent.
(38) V. Comm. eur., Communication de la Commission, Communication concernant les accords d'importance mineure
qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l'article 101, paragraphe 1, du traité sur
le fonctionnement de l'Union européenne (communication de minimis), 2014/C 291/01, JOUE du 30 août 2014
(ci-après Communication de minimis). Cette communication de minimis de 2014 succède à quatre communications
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