Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875 - 118

Les « institutions nécessaires » à l'ordre constitutionnel

101

de comprendre une doctrine politique en tant que telle21. Il convient donc, d'une
certaine manière, de faire abstraction du libéralisme au sens doctrinal pour retenir
que la plupart des députés de 1871 se revendiquent positivement comme tels, et
entendent donc que l'ordre constitutionnel en construction respecte ou développe
ce principe. Il ne fait aucun doute que le libéralisme de Gambetta -  s'il existe - est
fort différent de celui revendiqué par Henri V  - qui n'existe pas. En tout état de
cause, il n'est pas possible de façonner des institutions qui ne seraient pas perçues
et désignées comme libérales par une majorité des constituants.
114.  Les doctrines proches de l'Union libérale, qui représente l'opposition
légale et modérée à l'Empire à compter des années 1860, se concrétisent.  Sauf
certains à l'extrême gauche, les quelques bonapartistes et les ultras légitimistes,
l'ensemble des députés appartiennent à des partis dont les chefs, Thiers en premier lieu, se regroupaient au sein l'Union. Si, entre 1871 et 1875, le regroupement
politique auparavant motivé par la lutte contre les dérives autoritaires de l'-Empire
a disparu, les aspirations libérales22 qui servaient cette association ne s'effacent
pas pour autant et sont indispensables afin d'appréhender la construction du
nouvel ordre juridique républicain (I.). Pour des raisons à la fois contextuelles et
structurelles, le libéralisme est alors associé à une nécessité de grande prudence en
matière institutionnelle, montrant par-là que le libéralisme se réclame avant tout
du conservatisme (II.).
I. LE LIBÉRALISME SANS L'UNION
115.  Ernest Duvergier de Hauranne, qui siège au Centre gauche de l'Assemblée de 1871, reconnaissait sans difficulté en 1869 que l'Union libérale se réunissait
avant tout sur une négation, le rejet de l'Empire qui violerait la souveraineté de la
nation23. Le futur député considérait alors qu'il existait « en France, à cette heure,
21. 
D'autant que plusieurs études poussées font déjà autorité sur la question, en
particulier MANENT Pierre, Les libéraux, Paris, Gallimard, 2001 ; JAUME Lucien, L'individu effacé
ou le paradoxe du libéralisme français, Paris, Fayard, 1997 ; JARDIN André, Histoire du libéralisme
politique, de la crise de l'absolutisme à la constitution de 1875, Paris, Hachette, 1985.
22. Dans ses propos introductifs au Consulat, Thiers regrette avant tout l'absence de liberté sous les
deux empires qu'a connu la France : « Je sais tous les dangers de la liberté, et, ce qui est pis, ses misères.
Et qui les saurait, si ceux qui ont essayé de les fonder, et y ont échoué, ne les connaissaient pas ? Mais il
y a quelque chose de pis encore, c'est la faculté de tout faire laissée même au meilleur, même au plus sage
des hommes. On répète souvent que la liberté empêche de faire ceci ou cela, d'élever tel monument, ou
d'exercer telle action sur le monde. Voici à quoi une longue réflexion m'a conduit : c'est à penser que si
quelquefois les gouvernements ont besoin d'être stimulés, plus habituellement ils ont besoin d'être
contenus ; que si quelquefois ils sont portés à l'inaction, plus habituellement ils sont portés, en fait de
politique, de guerre, de dépense, à trop entreprendre, et qu'un peu de gêne ne saurait jamais être un
malheur.  On ajoute, il est vrai : Mais cette liberté destinée à contenir le pouvoir d'un seul, qui la
contiendra elle-même ? Je réponds sans hésiter : Tous. Je sais bien qu'un pays peut parfois s'égarer, et je
l'ai vu, mais il s'égare moins souvent, moins complétement qu'un seul » (THIERS Adolphe, Histoire du
Consulat, Paris, Lheureux et Cie, 1865, p.  13). Sans le dire ouvertement, le futur Président de la
République se prononce donc en faveur d'un régime modéré à l'exécutif contenu et surtout non
personnalisé (ce qui tranche nettement avec sa pratique du pouvoir entre 1871 et 1873...).
23. L'auteur, loin de s'en défier, reconnait que « [l]'Union libérale ne représente ni la royauté, ni
la république, ni 1830, ni les journées de juin, ni le pape, ni Voltaire ; elle représente tout simplement
la souveraineté de la nation, la liberté électorale qu'on violente sous nos yeux sans pudeur, la grandeur
de la France qu'on a compromise, l'ordre dans les finances qu'on a gaspillé, la publicité et le contrôle
dans toutes les branches du gouvernement. Elle représente, en un mot, l'opinion commune de tous
ceux qui veulent être libres et veiller par eux-mêmes au gouvernement de leur pays » (DUVERGIER
de HAURANNE Ernest, La coalition libérale, Paris, Armand Le Chevalier, 1869, p. 14).

978-2-275-09298-0__DOCFILE__corpus.indd 101

16-Apr-21 11:34:57 AM
Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875

Table des matières de la publication Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875
