Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875 - 274

L'irresponsabilité du chef de l'État : l'illusion du monarque constitutionnel

257

qu'il faut qu'il y ait « le moins d'articles possible pour éviter la discussion sur des
points qui certainement diviseraient la chambre » et Vitet qu'il faut regrouper dans
le même article « toutes les attributions du président ». Au demeurant et malgré le
caractère laconique de la loi Rivet, quelques-unes des attributions du Président
dans les lois de 1875 apparaissent dans le droit écrit.
313.  La loi du 13 mars 1873 modifie substantiellement les conditions de communication du Président avec l'Assemblée66 et précise les délais de promulgation
des lois : un mois pour les lois ordinaires, trois jours pour les lois adoptées avec la
procédure d'urgence (art.  2 al.1). Le chef de l'État obtient de plus le droit de
demander une nouvelle délibération des lois adoptées avec la procédure d'urgence,
et de retarder la troisième lecture des lois adoptées en deuxième lecture67, le dispositif ne pouvant cependant être utilisé pour les lois constitutionnelles68. Le texte
présenté à l'Assemblée le 21 février 1873 par de Broglie au nom de la commission
spécialement chargée de son examen est alors le fruit d'un compromis entre Thiers
et la majorité monarchiste, tout d'abord négocié au sein d'une sous-commission69.
La question de la communication ordinaire du Président avec l'Assemblée par
messages lus à la tribune par un ministre ne pose aucune difficulté, ni devant la
commission, ni devant l'hémicycle. Le dispositif est par conséquent confirmé par
les lois constitutionnelles. Le problème de son intervention directe, liée au maintien
de sa responsabilité en parallèle à celle des ministres et à la manière d'exercer le
pouvoir de Thiers, ainsi qu'il l'a été analysé, est davantage contextuel et n'influence
dès lors pas l'écriture de la constitution « définitive ». Les « politesses que se font
les chinois, qui s'accompagnent et se réaccompagnent de l'intérieur de la maison à
la porte, et réciproquement » d'après le mot de Thiers70, les « formalités nouvelles »
critiquées par l'ultra Boyer71, qualifiées de « puériles » par le membre du Centre
gauche Ricard72 ou le « je-ne-sais-quoi qui n'a de nom dans aucune langue »
dénoncé par le légitimiste Amédée Lefèvre-Pontalis73 ne se retrouvent pas lors des
débats de janvier et février 1875 ni dans ceux qui aboutissent au vote de la loi du
16 juillet qui fixe le dispositif : le Président se trouve alors hors le Parlement, irresponsable, il ne peut plus y intervenir directement.
314.  La restriction de la capacité d'intervention présidentielle devant l'Assemblée est en revanche contrebalancée par la consécration d'une sorte de véto
66. Art. 1er (Annexe II. 3.).
67. Art. 2 al. 2. (ibid.).
68. Art. 3 (ibid.).
69. Le légitimiste de Larcy qui préside la commission explique à ses collègues que lors du dernier
entretien de la sous-commission avec Thiers « [l]es idées indiquées de part et d'autre se sont
rapprochées, sans être identiques. Les négociations peuvent aboutir, mais aucun traité n'a été conclu ».
Les idées de Thiers se retrouvent alors « dans un texte qui n'est pas définitif, et qui n'est même pas
présenté comme un projet de Loi, mais comme un thème de discussion » (séance du 13 janvier 1873,
C II 608 ; pour le projet préparatoire voir Annexe IV. 15.)
70. Séance du 3 février 1873 (C II 609). Thiers prenait alors l'exemple d'une discussion sur les
impôts pour critiquer la procédure : « d'après votre système, il faudrait, après en avoir parlé que je me
retirasse. On viendrait ensuite apporter un compte contraire au mien. Si je ne le croyais pas exact, il
faudrait que j'intervinsse de nouveau, et pour cela que je fisse suspendre la discussion. Ce serait
comme les politesses que se font les chinois, qui s'accompagnent et se réaccompagnent de l'intérieur
de la maison à la porte, et réciproquement » (ibid.).
71. Séance du 27 février 1873 (JO du 28 février 1873, p. 1411).
72. Séance du 1er mars 1873 (JO du 2 mars 1873, p. 1472).
73. Séance du 10 mars 1873 (JO du 11 mars 1873, p. 1681). Le député craint ironiquement que
Thiers n'ait calomnié la Chine « et que l'année prochaine, par représailles, on ne l'appelle à Pékin un
cérémonial français » (ibid.).

978-2-275-09298-0__DOCFILE__corpus.indd 257

16-Apr-21 11:35:02 AM
Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875

Table des matières de la publication Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875
